Fouad El-Etr est un personnage d’une élégance un peu hors du temps, mélange d’orgueil grand genre et de délicatesse infinie : ses intimes sont depuis toujours Dante, Shelley, Bashô ou Gongora, aussi contemporains pour lui que les peintres et poètes amis qu’il a fréquentés et publiés à l’enseigne de La Délirante, la revue (et maison d’édition) qu’il a fondée en 1967 à Paris, et dont L’Escalier de la rue de Seine raconte aujourd’hui l’histoire, avec une manière de nonchalance éminemment stylée, illustrée également par les images des nombreux artistes qui l’ont accompagné, Sam Szafran, Gérard Barthélémy, Balthus, Raymond Mason, Francis Bacon…
Parisien, ce Libanais polyglotte de grande culture l’est resté avec passion depuis son arrivée en France en 1959. La ville est toujours sienne, explique-t-il quand « Le Monde des livres » le rencontre, parce qu’elle permet de se fondre dans le divers des foules, d’être un poète parmi les gens : « Je parle à tout le monde, à un éboueur, à un maraîcher, à un flic : j’en ai même accompagné un au Marché de la poésie, et je lui ai offert un livre… » Fouad El-Etr croit en effet que la poésie peut s’adresser à tous, et le succès de vente de certains des livres qu’il a édités, avec un soin d’esthète pour happy few, lui donne assurément raison.Il croit surtout à la beauté.
C’est un homme de 82 ans à la voix juvénile, affable et attentionné, mais sûr de son propos et d’une certaine idée de l’art, même s’il s’inquiète spontanément, sans aucun artifice de coquetterie, d’avoir l’air trop « insolent »… L’Escalier de la rue de Seine est un livre qui lui ressemble, où l’on comprend d’entrée que sa vie a toujours été indissociablement liée à l’aventure poétique. Une aventure faite de rencontres, parmi lesquelles celle du peintre Sam Szafran (1934-2019), dont la place est particulière, puisque le « roman de La Délirante et de [s]a vie », comme l’écrit Fouad El-Etr dans son avant-propos (en précisant : « c’est tout un »), est précédé d’une série de lettres à l’artiste, réunies sous le titre Esquisse d’un traité du pastel.
Szafran fut pendant des années l’interlocuteur privilégié du poète : « C’est le seul qui soit resté avec moi tout au long de l’histoire de la revue, et c’est lui qui faisait le pont avec la peinture. Nos rapports ont été quasi quotidiens, jusqu’au moment où nous avons cessé de nous voir, parce que je lui reprochais de continuer à peindre inlassablement le même escalier, alors qu’il n’avait plus rien à y faire : c’est moi qui l’avais amené, non sans mal, à ce fameux escalier de la rue de Seine, mais je trouvais que cela suffisait, cela devenait du maniérisme… »