Au Festival international de journalisme de Couthures, réflexions sur notre rapport à la mort

Au Festival international de journalisme de Couthures, réflexions sur notre rapport à la mort

Au cours du dernier jour du Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), dimanche 14 juillet, échanges et conférences ont plongé dans un sujet aussi tabou que mystérieux : la mort. « En plein été, dans un festival, parler de ces questions aussi lourdes, ce n’est pas rien », pointe Véronique Fournier, cardiologue, médecin de santé publique et autrice de l’ouvrage Sept vieilles dames et la mort (Editions Michalon, 352 pages, 22 euros).

Pour Noémie Robert, célébrante de funérailles et conteuse, présente à la table ronde « Peut-on apprendre à mourir ? », les questionnements sur notre façon d’appréhender la mort ont commencé par deux chiffres : selon le Crédoc, en France en 2016, 74 % des inhumations avaient un caractère religieux. Pourtant, selon l’Eurobaromètre des religions, la même année, 70 % des Français ne se réclamaient d’aucune religion en particulier. Noémie Robert ajoute : « on estime que moins de 5 % de la population française pratique une religion, quelle qu’elle soit, de manière quotidienne. » La célébrante de funérailles civiles pointe un manque d’alternatives en termes de rites funéraires pour celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans les religions.

Jennifer Kerner, assise à sa gauche, est thanato-archéologue. Elle analyse les cadavres d’autrefois pour comprendre les rituels, traditions et croyances qui existaient à différentes époques et endroits autour de la mort. « A l’échelle internationale et à travers l’histoire, c’est extrêmement rare de penser qu’il n’y a strictement rien après la mort. » Elle donne l’exemple d’un peuple du Mexique qui pense qu’au décès de quelqu’un, cette personne doit traverser des sortes d’épreuves durant douze jours avant d’atteindre l’au-delà : des moutons mangeurs d’hommes, des chiens agressifs… « Donc les vivants mettent du sel aux côtés du défunt pour ne pas être mangé par le mouton, un bâton pour se défendre contre les chiens… Cela les rend actifs dans l’accompagnement du mort, ça donne du sens », explique l’archéologue.

« Pourquoi est-ce si important de faire appel au récit, à l’imaginaire quand on parle de la mort ? », demande Lucie Hennequin, journaliste au HuffPost et animatrice de la conférence. Pour Jennifer Kerner, cela permet de faire vivre les souvenirs, de les encoder. Noémie Robert précise que « la légende n’a pas besoin d’être grandiloquente. » Il s’agit aussi de créer de la place pour entendre les histoires des personnes côtoyées par le défunt, car on ne connaît pas une personne du même angle si on est son enfant, son ami, ou son conjoint ou son collègue de travail. « Il faut mettre en commun, lier les récits les uns aux autres », résume Noémie Robert.

Pour sa part, elle utilise les contes pour faire de la mort un personnage, que l’on peut regarder, avec qui il est possible de dialoguer, « même si on n’a jamais le dernier mort », sourit-elle. Apprendre à mourir, c’est aussi en parler, en avoir une représentation. « Plus on lit des récits à ce sujet, plus on en parle, plus j’ai la sensation que ça calme un peu notre paysage intérieur vis-à-vis de ces questions », ajoute la médecin Véronique Fournier.

Les rites funéraires peuvent être organisés ou vécus de manière diversifiée et Noémie Robert regrette que les proches ne soient pas plus informés sur les possibilités qui s’offrent à eux. « Par exemple, les urnes funéraires ne sont absolument pas obligatoires. Si votre proche était laitier et que votre souhait est de mettre ses cendres dans un bidon de lait de trois litres cinq, c’est totalement possible », illustre-t-elle. Et, si on n’a pas eu le temps ou la possibilité d’aller aux funérailles, « il faut s’autoriser le droit de réorganiser un temps d’au revoir, de recueil, qui aura son effet même sans le corps du défunt », estime-t-elle.

La fin de la vie demeure un sujet tabou. Pourtant, note Jennifer Kerner, « on a des images de violences omniprésentes à travers le monde. C’est comme si le cadavre extérieur était acceptable mais le cadavre domestique nié, tabou. » Ce qui crée une sorte de crainte, voire de peur. « J’ai l’impression que très vite, ce qui est naturel, le fait de devenir un cadavre est vu comme indigne », ajoute la thanato-anthropologue.

En France, les agents funéraires suivent une formation courte, avec un turn-over énorme, regrette Noémie Robert, qui pointe « un manque d’accompagnement des proches », lié à la marchandisation des pompes funèbres, qui reposent sur une logique commerciale. Des alternatives existent, comme les coopératives funéraires présentes dans certaines villes comme Rennes, Bordeaux ou Strasbourg.

Alex Vizorek, humoriste belge ex-chroniqueur à France Inter qui a rejoint RTL, est monté sur la scène de la Cale devant l’église du village de Couthures, samedi soir. « Pour moi, rire de la mort, c’est une sorte d’exutoire, une manière de me sentir supérieur à un truc qui m’angoisse », explique-t-il face au public. Une conception résumée par la journaliste du Monde Joséfa Lopez, qui reprend les mots de l’humoriste Pierre Desproges : « Vivons heureux en attendant la mort. »

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