« Le Teilhardisme », de Mercè Prats : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

Ce que dit un penseur est une chose. Les intentions qu’on lui prête, les thèses qu’on lui attribue – parfois incompatibles entre elles – en sont d’autres. A quoi se superposent les images de sa doctrine supposée, ou recomposée, voire carrément inventée, à mesure que se multiplient les répercussions de son œuvre dans les médias et le public. Ce problème est bien connu, mais réserve des surprises, tel ce cas étonnant : le fantastique brouhaha provoqué, au tournant des années 1960, par le teilhardisme.

La situation, il est vrai, fut exceptionnelle. Car, de son vivant, le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), géologue et paléontologue, n’a publié pratiquement que des études savantes sur des questions d’archéologie. Certains de ses autres textes circulaient, traitant de l’esprit et de la matière, de l’évolution humaine, des sciences et de la spiritualité, mais sous le manteau, dans des versions dactylographiées. En effet, le Saint-Siège surveillait de près ce prêtre philosophe soupçonné d’hérésie. Et ce n’est qu’après sa mort que seront publiés, au Seuil, treize ouvrages exposant ses conceptions. Quand explosent les engouements comme les attaques, il n’est donc pas présent pour répondre, expliquer ou démentir.

L’historienne Mercè Prats connaît bien ce dossier. On lui doit déjà une enquête minutieuse sur la circulation des polycopiés de Teilhard, Une parole attendue, ainsi qu’une nouvelle biographie du philosophe (Salvator, 2022 et 2023). Ces deux volets deviennent un triptyque avec Le Teilhardisme, consacré à la flambée de commentaires et de malentendus suscité par l’œuvre posthume de Teilhard, des années 1955 à 1968. Pourquoi cette intense fièvre, aujourd’hui oubliée ? Les « trente glorieuses » battent leur plein, l’expansion économique entre en consonance avec une vision qui célèbre lyriquement sa marche vers un ultime progrès matériel-spirituel. Le projet d’embrasser ensemble christianisme et sciences, physique quantique et biologie, temps et complexification favorise par ailleurs la formation de plusieurs teilhardismes au sein de cette réception multiforme.

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