Vous avez envoyé la grosse cavalerie. J’ai failli faire demi-tour. Mais je viens de bien trop loin pour m’exécuter. Ce n’est pas une décoration de Noël mais un échafaudage que tu nous as monté, là. Cette manie américaine de transformer les maisons en train fantôme à Halloween et en grands magasins enguirlandés 110 volts à Noël, je ne m’y suis jamais vraiment fait. Mais toi, alors, tu as totalement épousé le projet. A la poubelle, ta moitié française.
Ce lettrage géant clignotant pleins feux devant chez toi, tu vas encore dire que j’exagère, mais c’est une agression physique. « For God so Loved » en frontal, « Joy to the World » en latéral. Histoire d’être bien certain que ton dieu ne vous rate pas quand il traîne dans le quartier, qu’il puisse s’essuyer les savates sur votre pelouse déglingue avant de passer le portique divin et d’entrer chez vous, dans les meilleures dispositions pour s’occuper de votre cas.
Tous les fils, un jour ou l’autre, défient leur paternel. Toi, ton doigt d’honneur scintille en grand dans le noir. Je suis gelé. Devant cette maison qui est la tienne, que je ne connais pas, je sautille sur place pour réchauffer mon sang et trouver la force de sonner à ta porte. Je recompte : plus de deux ans qu’on ne s’est pas vus. Sept cent soixante-sept jours exactement. Je ne t’ai pas appelé pour te dire que je débarquais. J’ai juste demandé ton adresse à ta sœur, et je suis monté dans le car. C’est elle qui m’a appris que tu étais devenu père. Que tu avais un enfant. Alors que la dernière fois que je t’ai vu, c’était toi, l’enfant. L’enfant déjà éloigné, mais mon enfant encore.