Pierre Blanquet, juriste : « Le prétendu droit de regard de l’Etat sur le capital de Fnac Darty ne repose sur aucun instrument juridique »

A chaque annonce d’un investisseur étranger, la France semble rejouer la même pièce : un théâtre d’ombres où l’Etat brandit la souveraineté comme un étendard protecteur, à l’abri duquel ses entreprises stratégiques sont protégées, tandis que le droit, relégué aux coulisses, peine à suivre la mise en scène.

La potentielle irruption du géant chinois du commerce en ligne JD.com dans le capital du distributeur allemand Ceconomy, lui-même deuxième actionnaire de Fnac Darty, constitue en effet le nouvel acte d’un spectacle médiatique en train de devenir un classique : celui, savamment chorégraphié, du contrôle des investissements étrangers en France.

Autrefois belle endormie, oubliée de presque tous jusque dans les années 2000, cette police administrative est aujourd’hui bel et bien réveillée, reformée à intervalles réguliers afin d’englober toujours plus d’entreprises jugées « stratégiques ». Son régime repose sur quatre conditions : un investissement direct, étranger, visant une entité française, elle-même exerçant une activité sensible telle que définie par le code monétaire et financier. Cette dernière exigence, résultat d’une condamnation par le juge européen, devait permettre de satisfaire le principe de sécurité juridique. Elle a au moins eu le mérite d’offrir aux opérateurs un horizon plus prévisible, fût-ce au prix d’un champ matériel désormais raboté pour ne protéger que des activités préalablement listées.

Encore faut-il rappeler que ce qualificatif de « stratégique », si volontiers mobilisé dans le discours politique, n’a aucune portée juridique : le régime du contrôle des investissements étrangers n’en fait jamais usage. Le gouvernement, lui, s’en empare pourtant avec gourmandise. Il se campe en gardien des intérêts nationaux, protecteur sourcilleux de ses « entreprises stratégiques », et ce sans le moindre égard pour l’absence totale de retombées juridiques, les seules qui vaillent lorsqu’il s’agit de protéger. Derrière cette posture martiale se niche un interventionnisme décomplexé, qui brouille allègrement les frontières entre propriété publique et privée, et qui rogne un peu plus le principe de libre circulation des capitaux pour un résultat, au demeurant, limité.

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