Au stade Bollaert-Delelis de Lens, le football en souvenir des hommes des terrils

Au stade Bollaert-Delelis de Lens, le football en souvenir des hommes des terrils

Une culture, presque une religion. « Bollaert, c’est notre temple. Je suis tombée dans la marmite quand j’étais toute petite, en 1963. J’y allais avec mon père, mon grand-père, mes oncles, tous mineurs de fond. Le dimanche, après le tiercé, on se retrouvait pour manger chez papi et mamie, et l’après-midi, c’était football. La sortie hebdomadaire. On continue en pensant à nos ancêtres les mineurs, et on transmet à nos jeunes. » Comme Muriel, ils connaissent les paroles. Celles de la chanson de Pierre Bachelet – « Au Nord, c’était les corons. La terre, c’était le charbon… » –, devenue hymne officieux du Racing Club de Lens depuis une vingtaine d’années. Et celles de La Lensoise, variante de La Marseillaise – « L’étendard Sang et Or est levé, entendez-nous, les supporteurs…  » –, l’hymne officiel.

Plus qu’un stade, Bollaert-Delelis, 38 223 places, est l’élément rassembleur d’une ville de quelque 30 000 habitants « rasée au sol à la fin de la première guerre mondiale », rappelle Marion Fontaine, professeure au centre d’histoire de Sciences Po, dont le travail de recherche porte sur les mondes miniers. « C’est une ville qui n’a plus rien d’antérieur aux années 1920. Elle a subi cette première rupture des bombardements, puis une deuxième dans les années 1960-1970 avec le déclin du bassin minier », analyse-t-elle. Le stade crée donc une histoire.

Construit en 1932 par l’ingénieur en chef des travaux de la Compagnie des mines de Lens, Bollaert est un stade dit « à l’anglaise », avec quatre tribunes indépendantes qui encerclent la pelouse et quatre angles vides. Pour accueillir des matchs de l’Euro 2016, il a été rénové, mais pas métamorphosé. Même s’il arbore aujourd’hui une enveloppe blanche épurée en écho à l’architecture du Louvre-Lens.

Que les nouvelles recrues venues d’ailleurs n’envisagent pas d’y échapper. Gervais Martel, président du club pendant vingt-huit ans – il a quitté ses fonctions en 2017 –, avait instauré une rencontre entre les mineurs et les joueurs du club afin que ces derniers sachent pour qui ils se démenaient sur le terrain. Arnaud Pouille, le dirigeant actuel, a maintenu cette tradition. « Notre équipe n’a pas toujours été éduquée aux valeurs du RC Lens, explique-t-il. Il est important d’apprendre très vite aux joueurs où ils mettent les pieds parce que les supporteurs sont assez sensibles par rapport à leur histoire. »

Sensibles et nombreux. Fait rarissime dans le milieu du football professionnel, le Racing Club de Lens ne compte pas moins de cinquante-deux associations de supporteurs, officiellement reconnues par le club. Et c’est aussi un héritage de l’histoire locale. « Ici, chaque fosse avait son association de supporteurs. Chacune réunissait ses membres dans son café. Ça créait du lien social », raconte Arnaud Goubelle. Au sein du Racing Club de Lens, il se charge de coordonner les trois tribunes populaires qui garantissent l’atmosphère de fête et de ferveur unique lors des matchs à domicile, mais aussi en déplacement. « A Bollaert, ça représente 12 000 places, pas chères, debout, soit à peu près un tiers du stade. Depuis cinquante ans, c’est la tribune historique Tony Marek qui crée l’ambiance, et maintenant d’autres tribunes très fortes essaient de reprendre les codes et les chants d’ensemble. »

Parmi les autres groupes phares, les Red Tigers, forts de huit cents membres environ, se sont assigné une véritable mission au sein du club, mais pas seulement. « On se considère un peu comme des syndicalistes, assure Pierre Revillon, l’un des responsables de l’association. Quand il faut défendre certaines valeurs, ou échanger avec le club de manière constructive, on n’hésite pas à monter au créneau. Nous nous voyons comme un acteur social de la ville, et plus généralement du bassin minier. »

Pour préserver cet équilibre vertueux, Arnaud Pouille envisage même de faire racheter le stade Bollaert par le RC Lens, une opération qui ne se fait quasiment jamais en France, où les enceintes sportives restent majoritairement des équipements publics. « Les stades et les clubs sont considérés comme de vrais monuments, juge le dirigeant du Racing. Ce sont un peu les derniers endroits de lien social dans les villes. Alors, pour nous, il y aurait du sens que Bollaert fasse partie du patrimoine d’un club plutôt que d’une collectivité qui peut rendre instable son exploitation.  »

Autre réflexion en cours, celle de la place des supporteurs dans l’actionnariat du club pour leur donner une place officielle au sein de l’organisation. « Nos supporteurs ont une véritable vision économique, pragmatique, de la chose, se réjouit Arnaud Pouille. Nous sommes deux blocs d’un écosystème qui a pour points communs l’amour du club et son ambition, mais qui défendent aussi les intérêts de chacun. »

Retrouvez toute la série des épisodes « Archi intéressant »

La saison 3 du podcast « Archi intéressant » est produite à l’occasion de l’exposition « Il était une fois les stades », présentée du 20 mars au 16 septembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris.

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