L’accessibilité, une promesse de Paris 2024 difficile à tenir

L’éditrice Lucie Fontaine, assise dans son fauteuil roulant, commence par énumérer ce qui fonctionne mieux qu’avant. Coautrice du guide Paris en fauteuil, paru en 2004 (Parigramme), elle estime, vingt ans plus tard, que « l’état de la voirie s’est amélioré » dans la capitale. Quitte à contrer les idées reçues, cette responsable des éditions Michelin assure que « les trottoirs sont plus propres, l’accès aux lieux publics facilité, les incivilités moins nombreuses », tandis que les pouvoirs publics « commencent à comprendre que tout le monde peut, à un moment de sa vie, se retrouver en situation de handicap ». Un progrès, assure-t-elle : « Les décideurs ont enfin saisi que les aménagements destinés aux personnes handicapées facilitent la vie de tous. »

Mais, Lucie Fontaine en convient, « la grosse difficulté, à Paris, ce sont les transports publics ». A commencer par le bon vieux métro, conçu au début du XXe siècle, aux escaliers et portillons difficilement franchissables. Seule la ligne 14, la plus récente, est présentée, grâce à ses ascenseurs, comme « totalement accessible » par Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité chargée des transports dans la région. « Les entraves à la liberté d’aller et venir sont partout », résume Pascale Ribes, présidente de l’association APF France handicap, qui défend les droits des personnes en situation de handicap. Les métros des grandes capitales internationales, comme des autres villes de France, sont beaucoup plus accessibles.

La candidature de Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) avait promis l’accessibilité à tous les sites, et des gares ferroviaires les desservant. Et 280 000 billets ont été réservés aux spectateurs en situation de handicap. Une source gouvernementale indique toutefois que trois millions de personnes concernées sont susceptibles d’assister à la fête olympique, en incluant toutes celles pouvant souffrir, en permanence ou de manière temporaire, d’une difficulté à se déplacer, d’un handicap visuel, auditif, cognitif ou psychique.

Durant les quelques mois qui précèdent le grand rendez-vous, les pouvoirs publics ont multiplié les engagements destinés à assurer l’« héritage » des JOP. Mille taxis adaptés ont été commandés pour l’événement. « Un plan de 1,5 milliard d’euros a été déployé pour l’accessibilité du réseau ferré, notamment dans les gares », indique Laurent Probst, directeur général d’IDFM.

Le 15 mai, les ministres Fadila Khattabi, déléguée aux personnes âgées et aux personnes handicapées, et Patrice Vergriete, délégué aux transports, inauguraient la mise en accessibilité de la gare RER de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui permet d’accéder au Stade de France. Le creusement d’un tunnel piéton sous les voies, qui a coûté 160 millions d’euros, a été financé en grande partie par IDFM et la région Ile-de-France. La présidente Les Républicains de ces deux entités, Valérie Pécresse, présentait le lendemain à la presse les véhicules adaptés destinés au transport des spectateurs handicapés entre les gares et les sites des épreuves. Le gouvernement a, en outre, lancé, fin avril, un « guide d’accessibilité », visuel, sonore et en langue des signes, récapitulant toutes les étapes d’un voyage à l’occasion des Jeux. Quant à Lamia El Aaraje, adjointe socialiste à la maire de Paris chargée de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap, elle parle de « révolution culturelle ».

Les personnes concernées modèrent ces enthousiasmes. APF France handicap ne se résigne pas à l’impraticabilité du métro parisien, dont l’adaptation serait, selon un discours officiel qui n’a pas évolué depuis les années 1990, trop coûteuse. Chargé de l’accessibilité universelle au sein de l’association, Nicolas Mérille observe qu’« à l’époque des Jeux de Londres, en 2012, 18 % des stations de métro avaient été aménagées ». La capitale britannique se targuait alors de proposer « les Jeux les plus accessibles de l’histoire ». Alors que le métro londonien affiche aujourd’hui un tiers de stations adaptées, celui de Paris plafonne à 9 %, selon IDFM – voire à 3 %, selon APF France handicap. « Chaque année, la RATP rénove trois ou quatre stations. Pourquoi ne pourrait-on pas en profiter pour les équiper ? », s’interroge Nicolas Mérille.

Faute de métro accessible, le réseau de bus apparaît comme la solution de substitution pour tous ceux qui ne peuvent pas emprunter des escaliers. Les véhicules sont équipés de rampes amovibles que le conducteur est tenu de déployer à la demande. Dans la perspective des Jeux, 1 800 arrêts parisiens ont été rénovés, et la mairie a annoncé, début avril, que « 100 % des lignes de bus sont désormais accessibles ».

Une annonce toutefois en trompe-l’œil. D’une part, le site de la RATP indique que c’était déjà le cas en 2010. D’autre part, pour qu’une ligne soit classée comme accessible, il suffit que 70 % des arrêts le soient. « Et donc, pour rejoindre un arrêt de bus, les personnes en fauteuil roulant doivent effectuer des trajets plus longs que les valides », s’insurge le journaliste Laurent Lejard, qui anime depuis 2000 Yanous !, un site qui se présente comme le « magazine francophone du handicap ». Pour Lamia El Aaraje, cette situation est conforme à la « ville du quart d’heure », mantra de la municipalité : « Chacun est à moins de quinze minutes d’un arrêt adapté à sa situation. »

A condition tout de même que les bus roulent. Or, faute de couloirs réservés de bout en bout, les véhicules butent sur les encombrements. Les difficultés de recrutement des conducteurs, après la pandémie de Covid-19, ont allongé les temps d’attente, jusqu’à plusieurs dizaines de minutes. La RATP assure désormais avoir procédé à des recrutements en nombre suffisant. Enfin, pendant les semaines olympiques, les lignes qui traversent les larges périmètres tracés autour des sites de compétition seront interrompues. Alors que le métro bénéficie d’un plan de transport précis et d’un service consolidé, les lignes de bus n’ont pas été renforcées. « Cela ne sert à rien, car elles rencontreront des difficultés de circulation », reconnaît Jean Castex, président-directeur général de la RATP.

L’autre impensé de la mobilité accessible, ce sont les ascenseurs. Les personnes handicapées ne sont pas les seules à déplorer l’imprévisibilité de ces satanées machines et à se demander pourquoi il faut des mois pour les réparer. Selon un test réalisé par Le Parisien en août 2023, vingt-deux des vingt-huit ascenseurs publics de la capitale, qui relient une rue à une dalle piétonne, ne fonctionnaient pas. « Un ascenseur en panne est tagué, vandalisé, ses vitres cassées », observe Lamia El Aaraje, à la Mairie de Paris, en pointant du doigt les ascensoristes : « Ils se moquent de nous. Leurs devis de réparation sont mirobolants. Ils ne commandent pas suffisamment de pièces détachées à l’avance et rencontrent des difficultés de recrutement, faute de revalorisation salariale. »

Président-directeur général de l’ascensoriste Schindler et président, jusqu’en avril, de la Fédération des ascenseurs, Philippe Boué n’apprécie pas la mise en cause : « C’est tellement facile de nous taper dessus ; nos techniciens se font insulter, alors que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. » Chaque machine, précise-t-il, comporte deux cents pièces, et leur âge se compte parfois en décennies. « La principale source de pannes, ce sont les portes. Chercher à les retenir à l’aide de valises, de trottinettes, ou en leur donnant des coups, les endommage », indique-t-il. Dès lors, le chef d’entreprise lance « un appel à la citoyenneté » et s’interroge sur la possibilité de « réserver les ascenseurs aux gens qui en ont vraiment besoin », à l’aide de « badges sur smartphone ». C’est oublier que ces appareils servent aussi aux voyageurs accompagnés d’enfants en bas âge, momentanément fatigués ou transportant de lourdes valises.

Philippe Boué regrette aussi leur trop grande visibilité : « L’ascenseur n’est pas un outil d’architecture, il ne doit pas être trop exposé », estime-t-il. Même si les spécialistes de la mobilité réduite préconisent exactement l’inverse. « Les ascenseurs doivent être visibles, facilement repérés par les usagers », avance Ludivine Munos, douze fois médaillée paralympique en natation et responsable de l’intégration paralympique au sein de Paris 2024. Si la bataille de l’accessibilité ne s’arrêtera pas avec les Jeux, l’événement fait émerger des débats qui n’avaient pas été posés jusqu’ici.

Enfin, si les dérangements subis par les Franciliens valides dans leurs déplacements pèsent peu à côté des obstacles rencontrés par les personnes handicapées, il ne faut pas oublier que les Jeux paralympiques, début septembre, se traduiront aussi par des voies et des périmètres fermés à la circulation et par des transports publics très sollicités. « Le besoin de matériel roulant et de conducteurs pèsera d’autant plus qu’on sera en pleine rentrée », prévient Alexandre Faure, docteur en études urbaines et secrétaire délégué du Conseil de développement de la métropole du Grand Paris, qui y voit « un point noir » pour Paris et sa banlieue.

Mise à jour le 29 mai 2024 à 13 h 10 : ajout d’une précision de la part de la RATP sur le recrutement de conducteurs de bus.

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