Nul n’a mieux résumé les enjeux de l’année 1944 que Charles de Gaulle lui-même : « Tous savent que la France va reparaître. Tous se demandent ce qu’elle sera. » En dépit des obstacles qu’il a surmontés depuis son appel à la « résistance » lancé à Londres le 18 juin 1940, le président du Comité français de la libération nationale (CFLN) mesure que les mois qui viennent seront décisifs. La France bientôt libérée doit renouer avec la démocratie, tourner la page du régime de Vichy, se réapproprier son territoire, refaire son unité et retrouver son rang dans le concert des nations. Pour commencer, de Gaulle doit asseoir sa légitimité. Elle est discutée, il le reconnaît lui-même dans une prose, celle des Mémoires de guerre, qui n’appartient qu’à lui : « Ce chef que n’avaient investi nul souverain, nul parlement, nul plébiscite, et qui ne disposait en propre d’aucune organisation politique », parviendrait-il à imposer son autorité au « peuple le plus mobile et indocile de la terre »? ?
Les écueils qui contrarient sa route début 1944 sont un défi à son courage et à sa ténacité. Avec un sens affûté des rapports de force, il circonvient ses opposants français et alliés, les rallie à ses desseins et à sa personne sans jamais dévier de sa trajectoire : la France. Il doit aussi les rassurer, lui que sa chevauchée solitaire et sa réputation de chef incommode entretiennent dans l’idée qu’il veut exercer un pouvoir absolu. L’ordonnance qu’il signe à Alger le 9 août 1944 les tranquillise à demi : « La forme du gouvernement est et demeure la République. »
Pour que la République soit de nouveau la République, il faudrait donner la parole au peuple. Faute de pouvoir organiser des élections, de Gaulle a constitué en septembre 1943 à Alger une Assemblée consultative où siègent des personnalités de toutes les sensibilités, sauf celles qui ont collaboré avec l’occupant. Etoffé par la suite, ce Parlement embryonnaire s’en remet, dans les faits, au gouvernement provisoire de la République française (GPRF), que de Gaulle a substitué au CFLN le 3 juin 1944.
Ce même 3 juin, à trois jours du Débarquement en Normandie, il quitte Alger pour Londres. Là, il découvre que Winston Churchill, le premier ministre conservateur britannique, et surtout Franklin Roosevelt, le président démocrate américain, ne comptent pas lui laisser les mains libres dans les territoires libérés. Au motif, argumente Roosevelt, que « personne ne peut savoir ce que pense réellement le peuple français », lequel, il est vrai, s’en est remis très majoritairement au maréchal Pétain en 1940.