Née au Canada, Nancy Huston est arrivée à Paris à l’âge de 20 ans, où elle a fait sa thèse sous la direction du philosophe et sémiologue Roland Barthes (1915-1980). Elle a publié de nombreux romans en anglais et en français. Aujourd’hui, âgée de 70 ans, elle revient sur ses engagements féministes, le rapport au temps, à son corps, et sur ces « sept décennies de réel » dont elle dispose désormais pour elle.
Elle ne me fait pas peur. Pas du tout. Mais de façon générale, je l’ai remarqué depuis longtemps, les femmes ont moins peur de la mort que les hommes. C’est un thème sempiternel de la poésie masculine qu’on ne retrouve pas dans la poésie des femmes – avec des exceptions, bien sûr, dans les deux sens. Je n’ai particulièrement pas peur de la mort parce que je ne crois pas qu’il y a quelque chose après : je n’ai donc peur ni de l’enfer, ni d’être punie, ni d’avoir une mauvaise note. En somme, je n’ai pas peur d’être encore là « après », car on ne peut pas « être » morte : la mort, c’est la fin de l’être.
Il y a une phrase de [l’écrivain] Christian Bobin [1951-2022] qui a résonné en moi une fois pour toutes, il y a très longtemps. Il s’adresse dans un texte à sa jeune amie Hélène qui est décédée ; il lui dit : « Tu n’es pas dans ta mort. » Cela le rassurait de savoir qu’elle n’était pas quelque part de l’autre côté. On « n’est » pas mort. Ça, c’est magnifique, c’est très important. Beaucoup de mes proches – et aussi beaucoup d’artistes dont je me sens proche – étaient morts à mon âge. Donc, je m’habitue depuis un moment déjà à me dire que, oui, ça va arriver, que la mort n’est pas une question mais une évidence.
Non. J’ai été suicidaire une grande partie de ma vie. C’est peut-être une complaisance, une fuite aussi de penser que l’on peut toujours arrêter de vivre. Mais cela m’a toujours rassurée. J’ai toujours essayé d’imaginer une façon de faire qui ne soit pas violente pour les proches. Car certains de mes proches se sont suicidés, et j’ai vécu leur geste comme une violence horrible. Donc, j’ai parfois eu l’idée de prendre une bouteille de Vitrex dans une main et du Sopalin dans l’autre… Les gens se diraient que j’étais juste en train de nettoyer les vitres et que j’ai perdu l’équilibre et chuté par la fenêtre. Mais là, j’habite une maison trop petite pour que ce geste soit crédible.
J’aime beaucoup les tâches ménagères. A priori, je trouverais ça beau de mourir en lavant les vitres ! Je dis ça un peu pour rire, bien sûr. Mais je milite depuis longtemps pour la liberté du choix de mourir. Si je suis grabataire, je préfère me donner la mort que d’aller à l’Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes].