« Mort d’une libraire », d’Alice Slater : la gentille petite libraire trollée jusqu’à l’issue fatale

« Mort d’une libraire », d’Alice Slater : la gentille petite libraire trollée jusqu’à l’issue fatale

La Petite Librairie des gens heureux. La Librairie des rêves ensevelis. La Petite Librairie des cœurs brisés. La Librairie de tous les possibles… Elles sont des dizaines, ces fictions récentes et supposément « feel good », situées dans ces échoppes où se vendent des ­livres. Cette tendance accompagne celle qui, sur les réseaux sociaux, inscrit les romans dans une panoplie comprenant tasses de thé, chats ronronnants, plaids, bougies et autres accessoires mignons ou citations dites « inspirantes » (voir : #booklovers, #booksofinstagram, etc.).

C’est à rebours de ce courant vaguement fétichiste qu’Alice Slater semble avoir écrit son premier roman, d’un mauvais esprit résolu et d’une noire ­drôlerie. Son titre annonce la couleur : Mort d’une libraire ; l’animal totem n’y est pas le félin, mais l’escargot. Les gastéropodes sont, en effet, l’une des seules passions de Roach (« blatte », surnom qu’elle s’est choisi). La narration est ­confiée en alternance à cette libraire londonienne calamiteuse, observant une hygiène approximative, fascinée par les serial killers (le seul rayon du magasin à l’intéresser est celui des « true crimes »), et à Laura, son contraire, pimpante et efficace, tout juste arrivée dans la boutique qui les emploie et périclite.

Entre les mois de septembre et de décembre 2019, on suit l’une et l’autre dans ce récit qui fait penser au thriller psychologique JF partagerait appartement, de Barbet Schroder (1992), pour l’obsession malsaine que Roach nourrit à l’égard de Laura, réveillant un traumatisme chez celle-ci. Roach espionne sa collègue, lui vole de menus objets, s’introduit subrepticement chez elle. Laura vacille, ne comprend pas pourquoi certaines de ses ­affaires disparaissent ou se déplacent sans qu’elle les ait touchées, boit de plus en plus – mais toujours moins de thé. Il arrive que la jeune femme trouve dans son petit appartement les traces du passage d’escargots.

L’intrigue avance à la vitesse du baveux animal, manière malicieuse pour l’autrice de faire monter la pression et le suspense, alors que le titre comme le prologue (dont les dernières lignes annoncent : « A Noël, Laura Bunting n’était plus des nôtres. Et c’était de ma faute ») pourraient sembler nous avoir déjà divulgâché l’essentiel. On lit les presque 400 pages qui suivent happé par les voix de ses personnages. Celle de Roach agrippe le lecteur par ses images étranges – « Les néons du dôme de la Brixton Academy luisaient comme les geysers de vomi dans L’Exorciste », décrit sa première phrase –, ses références constantes à des criminels célèbres ou obscurs – son petit ami la séduit par sa ressemblance avec un meurtrier en série –, le malaise que font naître son manque de lucidité comme son délire à l’égard de Laura. Celle-ci touche à mesure qu’elle est gagnée par l’insécurité et les doutes, tandis qu’elle révèle les raisons pour lesquelles la fixation de Roach sur les faits divers les plus morbides la rend malade.

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