Jean Garrigues, historien : « Jugé impensable, le projet de gouvernement de “défense républicaine” fut pourtant mené à bien en 1899 »

Le 22 juin 1899, au cœur de la tourmente de l’affaire Dreyfus, qui avait vu les nationalistes tenter un putsch militaire quatre mois plus tôt, le républicain modéré Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904), disciple de Léon Gambetta (1838-1882), constitua un gouvernement dit de « défense républicaine ». Il y fit entrer non seulement ses amis modérés et leurs frères ennemis radicaux mais aussi deux personnalités aussi clivantes qu’incompatibles : d’un côté, le général et marquis Gaston de Galliffet (1831-1909), honni par la gauche pour avoir joué un rôle majeur dans la répression de la Commune ; de l’autre, Alexandre Millerand (1859-1943), proche de Jean Jaurès, qui devint ainsi le premier ministre socialiste de notre histoire. Sa présence dans un gouvernement « bourgeois », et qui plus est aux côtés du « massacreur » des communards, suscita l’indignation des socialistes les plus extrêmes, notamment de Jules Guesde (1845-1922), qui considérait ce ralliement comme une trahison.

Jaurès, au contraire, approuva cette démarche, considérant que l’urgence était au maintien de l’ordre face à la menace que l’extrême droite antidreyfusarde faisait peser sur la République. L’histoire lui donna raison car le gouvernement de défense républicaine, appuyé sur l’autorité militaire de Galliffet, mit non seulement fin à la crise politique née de l’affaire Dreyfus mais battit ensuite le record de longévité d’un gouvernement sous la IIIe République, permettant au passage à Millerand, ministre du commerce et de l’industrie, de faire voter plusieurs lois sociales qui marquaient l’inflexion vers la gauche de la politique française.

Gouvernement provisoire ? De cohabitation ? De coalition ? De techniciens ? Parmi toutes les formules avancées depuis deux semaines, on n’a pas entendu celle de la « défense républicaine ». Elle aurait l’avantage de prolonger la rhétorique du « front républicain », qui a permis dans un premier temps la formation du Nouveau Front populaire (NFP), en dépit de ses profondes contradictions internes, puis la dynamique des désistements de « l’arc républicain », et enfin la victoire de la gauche, juste devant la coalition du centre.

En revanche, plusieurs obstacles se dressent aujourd’hui pour empêcher une expérience similaire à celle de Waldeck-Rousseau. Le premier est évidemment la réussite de la stratégie de dédiabolisation et de normalisation entreprise depuis plusieurs années par Marine Le Pen, et dont l’aboutissement a été l’avènement politique de Jordan Bardella, le « gendre idéal » du Rassemblement national (RN).

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