« Forger le faux », de Paul Bertrand : au Moyen Age déjà, une épidémie de faits falsifiés

Forger le faux part d’un parallèle surprenant, établi par le médiéviste Paul Bertrand à l’université de Princeton (New Jersey) en 2019, sous le premier mandat de Donald Trump, qui, comme l’actuel, avait conduit à une diffusion massive de fake news. L’enthousiasme face à la révolution numérique en cours était terni par ce mal dont on découvrait le nom : la post-vérité. Or, une première « épidémie de faux » s’était déjà déclarée en Occident au XIIe siècle. Des falsifications de documents – des « forgeries » – avaient bien sûr été produites avant, comme la célèbre donation de Constantin, vers le IXe siècle, qui prétendait que l’empereur avait concédé au pape, en 315, le pouvoir temporel et spirituel sur Rome et l’Occident. Mais au XIIe siècle, les faux se mettent à pulluler.

Derrière cet emballement, il y a une autre révolution, que les historiens nomment « révolution de l’écrit » : une explosion de la production scripturaire, entre le XIIe et le XIIIe siècle. Les médiévaux redécouvrent le pouvoir de l’écrit, y compris pour faire enregistrer davantage de fausses prétentions. Une accélération des falsifications qui, en réalité, va faire naître une sensibilité accrue au faux : à partir du XIIe siècle débute le lent divorce entre la vérité et la fiction. Les écrits produits jusque-là témoignaient en effet d’une relation plus ouverte, plus fluide avec cette dernière. On demandait moins à une vie de saint, par exemple, de refléter l’existence réelle d’un personnage que d’en faire un modèle idéal et édifiant, toujours identique. On pardonnait aussi aux grandes abbayes de forger, à l’appui de leurs droits fonciers, des documents qui n’avaient jamais été rédigés auparavant.

Après le pontificat du grand juriste qu’a été Innocent III, pape de 1198 à 1216, c’est la fin de l’innocence : « Le monde, écrit Paul Bertrand, a revêtu de nouveaux habits, l’écrit a acquis ses lettres de noblesse, bardé de ferrures juridiques. » La preuve écrite en vient à l’emporter sur la preuve orale, tandis que disparaît peu à peu la place cruciale accordée à la mémorisation. Au XIIIe siècle, la canonisation est ainsi devenue un procès, étroitement contrôlé par la curie romaine, qui produit des documents juridiques authentifiés. Les reliques elles-mêmes se chargent de bandelettes certifiant leur traçabilité.

Recomendar A Un Amigo
  • gplus
  • pinterest
Commentarios
No hay comentarios por el momento

Tu comentario