Selon une étude récente, les deux tiers du réchauffement sur la période 1990-2010 seraient dus aux 10 % les plus riches. Un article du Monde met en évidence plusieurs limites à l’interprétation de ce type de travaux, notamment en matière de politiques publiques. Une autre question fondamentale mérite d’être posée : de quoi parle-t-on au juste ? Qu’est-ce qui est véritablement quantifié, chiffré ? Cette question peut se subdiviser en deux interrogations.
La première concerne le groupe porteur de la « responsabilité ». De la même manière qu’un équivalent temps plein sur une période de dix ans peut être occupé par plusieurs personnes, les 10 % les plus riches sur la période 1990-2020 ne constituent pas une réalité stable : des gens sortent et rentrent dans ce groupe chaque année, au gré de l’évolution de leurs revenus, de leur mort. Ce groupe n’est pas une population, au sens d’un ensemble d’individus. Les 10 % les plus riches représentaient dans le monde 530 millions de personnes en 1990 et 800 millions en 2020. Qu’est-ce que faire partie des 10 % les plus riches sur la période 1990-2020 ? Ce groupe, porteur de la responsabilité, est une simple collection d’années de vie, une construction statistique.
La seconde interrogation porte sur la « nature » de la responsabilité de ce groupe abstrait. Les 10 % les plus aisés sur la période 1990-2020 seraient responsables des « deux tiers » du réchauffement. Le vocabulaire employé pour présenter ce résultat est celui d’un réalisme métrologique : on mesurerait quelque chose qui existe. En réalité, « la responsabilité » ne se mesure pas de la même manière que la taille d’une personne.
Avec Alain Desrosières [1940-2013], les sciences sociales nous ont appris que l’action de quantifier combine deux moments qu’il faut distinguer : convenir et mesurer. Il faut donc d’abord convenir de ce que l’on entend par « responsabilité ». Une telle convention relève d’un choix extra-scientifique. Les résultats proprement scientifiques, eux, ont trait à la mesure, une fois la convention adoptée, et sont donc relatifs à celle-ci. On ne s’étendra pas ici sur les méthodes de mesure. Il est plus intéressant de s’interroger sur la convention de « responsabilité », ce premier moment de la quantification, qui est rarement discuté dans la littérature scientifique.