En quittant le bureau qu’il avait occupé durant près de quatorze ans, l’ex-premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte plaidait, en juillet 2024, pour l’« excellente tradition néerlandaise de la concertation et des compromis intelligents ». Y croyait-il lui-même alors qu’il avait fallu plus de sept mois pour que quatre partis, dont le sien, parviennent à se mettre d’accord sur un programme gouvernemental largement inspiré par le Parti pour la liberté (PVV), la formation du dirigeant d’extrême droite Geert Wilders, vainqueur des élections de novembre 2023 ? De 2010 à 2012, M. Rutte avait brièvement tenté de gouverner avec l’appui extérieur du dirigeant populiste et xénophobe. Il en avait conclu que toute alliance avec lui serait désormais impossible.
C’est pourtant le même Mark Rutte qui, en juillet 2023, allait préparer le terrain à la victoire du PVV. Décrétant une limitation du regroupement familial pour les réfugiés, le dirigeant libéral précipitait la chute de sa dernière coalition et légitimait en même temps le discours de M. Wilders sur le « tsunami de l’asile ». D’autres dirigeants conservateurs sont ensuite allés plus loin, dont Dilan Yesilgöz, qui avait succédé à M. Rutte à la tête du parti libéral. Reprenant la rhétorique du PVV sur la migration, elle déclarait aussi qu’à ses yeux cette formation était fréquentable. De quoi entraîner la fuite vers l’extrême droite de 20 % de ses électeurs, soudain décomplexés.
Naïfs, inconscients ou aveugles, les responsables du Mouvement agriculteur-citoyen et du parti Nouveau Contrat social, les partenaires du PVV dans la coalition laborieusement mise en place le 2 juillet 2024, ont, eux aussi, estimé qu’ils étaient obligés de négocier avec le parti d’extrême droite parce qu’il avait rassemblé 23,5 % des électeurs aux législatives de 2023. Les premiers voulaient défendre les paysans, menacés par des projets de réduction des émissions nocives de gaz à effet de serre et de la taille des exploitations ; les seconds tablaient sur une réforme de la gouvernance du pays.