Il existe une face sombre de l’art. Quantité d’œuvres, de courants et d’écoles ont contribué, au fil des siècles, à mille processus de domination, d’exclusion, d’asservissement et d’exploitation. On a tendance à oublier cette vérité désagréable, parce que domine aujourd’hui une tout autre conviction : le travail artistique serait du côté de l’émancipation et des résistances à l’oppression. « Naturellement » et « intégralement », croit-on. Cette vision naïve et angélique de la création ne résiste pas aux enquêtes historiques qui explorent les intrications au long cours des images et de la manipulation des corps.
Dans ce registre, encore relativement peu fourni, les travaux d’Eric Michaud occupent une place centrale. Directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, il n’a cessé de mettre en lumière des exemples frappants d’alliances étroites entre esthétique et barbarie. En 1996, Un art de l’éternité (Gallimard) soulignait le rôle décisif de l’art dans la construction de la politique raciale du nazisme, en incitant à la réalisation de la perfection aryenne et à l’anéantissement des « difformités » antérieures et « inférieures ». En 2015, Les Invasions barbares, chez le même éditeur, étudiait l’intense participation, depuis le XIXe siècle, des historiens de l’art à l’élaboration des doctrines racistes.