« Le pire pour nous, ça serait de devoir reloger les 300 habitants de Yalimapo. L’histoire locale y est très riche et personne ne veut partir. On nous répond que tout ça n’est pas grave, que la plage va revenir ». Depuis Cayenne jusqu’à Awala Yalimapo, la commune à la frontière du Suriname dont Tiffanie Hariwanari est première adjointe, défilent près de 300 kilomètres de côte, parmi les plus exposées au monde à l’érosion.
Le 4 juin dernier, elle a parcouru ces 300 kilomètres pour venir témoigner de ce fléau à l’occasion d’un séminaire organisé pour les dix ans de l’Observatoire des dynamiques côtières de Guyane. Cet organisme public a pour mission d’agréger les connaissances scientifiques sur l’évolution du littoral et d’orienter les politiques publiques.
Cartes satellites à l’appui, l’élue Kali’na (un des peuples autochtones de Guyane) a pu illustrer le recul de la plage des Hattes, près d’une dizaine de mètres ces cinq dernières années, et évoquer les nombreuses conséquences pour sa petite commune d’à peine un millier d’habitants : le bourg inondé à chaque grande marée, comme la dernière, en mars 2024, la route historique menant au village qui a dû être déviée, car trop proche de l’océan, l’éclairage public qu’il a fallu réaménager…
En Guyane, les épisodes de recul drastique du trait de côte, qui touchent la plupart des communes littorales, procèdent avant tout d’un phénomène naturel. « Nous sommes sur un littoral parmi les plus dynamiques au monde en raison de l’influence de bancs de vase qui se forment à partir des sédiments de l’Amazone puis qui migrent le long de la cote des Guyanes, jusqu’à l’Orénoque [au Venezuela] », explique Antoine Gardel, chercheur en géomorphologie littorale au CNRS.
Sur leur passage, ces bancs de vase modifient l’influence de la houle sur la côte, favorisant l’érosion ou au contraire, l’accrétion des plages. C’est ce même phénomène qui explique l’installation et la disparition des mangroves, ces écosystèmes forestiers semi-immergés.
Seulement, la côte guyanaise, qui a l’habitude de se redessiner constamment, est encore plus vulnérable aujourd’hui, du fait de la montée du niveau marin, lié au dérèglement climatique d’origine humaine. « La Guyane a une côte extrêmement basse, pas très loin du niveau de la mer, donc une simple hausse, ça veut dire des espaces comme le long des rivières ou les savanes de l’arrière-pays, qui peuvent se retrouver inondées », explique Guillaume Brunier, ingénieur chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Les submersions marines comme celles ayant frappé Rémire-Montjoly en 2014 ou Kourou en 2016 et qui ont inondé des quartiers entiers, risquent donc de se multiplier à l’avenir. Dans ce contexte, les collectivités tentent de parer au plus urgent. Depuis 2019, Kourou a par exemple décidé d’installer des épis sur la plage et au large pour casser la houle, et de réensabler ses plages en attendant de pouvoir reloger les quartiers les plus exposés.
« On anticipait 341 logements à déplacer dans les 30 prochaines années mais en prenant en compte la montée des eaux, on serait plutôt sur 500 logements impactés », détaille Jean-Paul Malaganne, directeur général adjoint des services de la ville qui héberge le centre spatial guyanais.
De son côté, Awala Yalimapo, a parié sur des « barrières anti submersions » mobiles qui devraient être livrées dans les prochains mois tandis que Rémire Montjoly, à côté de Cayenne, mise depuis 2010 sur un dispositif expérimental de stabilisation des plages à base de boudins de sable.
Des mesures au coût souvent exorbitant pour les collectivités comme à Kourou où « elles frisent les 10 millions sans parler des relocalisations », estime Jean-Paul Malaganne. Et, si elles peuvent compter sur des aides comme celles du Fonds Vert, pérennisé jusqu’en 2027 et dont l’enveloppe est de 12 millions cette année pour la Guyane, cela ne suffit pas à prendre en charge le déménagement de quartiers entiers.
« Les solutions financières adaptées à la situation guyanaise restent à construire mais ça ne doit pas être un frein, il faut commencer par régler les aspects techniques et sociétaux », admettait même Yvan Martin, directeur des services de l’État en Guyane, à l’issue du séminaire organisé par l’Observatoire des dynamiques côtières.
À Awala Yalimapo, les prévisions quant à l’avenir du banc de vase au large de la côte laissent espérer un regain de la plage, au moins pour les prochaines années mais le village a déjà anticipé le « pire » en prévoyant une zone de relogement sur sa nouvelle carte communale. « On est au niveau de la mer, explique Tiffanie Hariwanari. À long terme, on ne se fait aucune illusion ».