En 2020, dans les archives littéraires de la ville de Munich, Ingvild Richardsen découvre, classé parmi des photos et des dossiers sur le camp de concentration de Mauthausen, un document en piteux état. L’historienne vient d’exhumer un long tapuscrit qui retrace la vie de sa protagoniste, Monika Merton, une jeune intellectuelle juive, juste avant son exil, en février 1936. Bouleversée par la lecture de ces 500 pages d’une insoutenable beauté, la chercheuse mène l’enquête et met au jour les conditions extrêmes dans lesquelles Grete Weil (1906-1999) a rédigé ce roman autobiographique dans les dernières années de la seconde guerre mondiale. Deux ans après cette découverte, Le Chemin de la frontière est publié en Allemagne, avec une postface d’Ingvild Richardsen. Belle et juste réparation posthume pour cette écrivaine très peu connue, dont l’œuvre fut longtemps et injustement ignorée après son retour au pays natal, en 1947.
Issue de la haute bourgeoisie juive, libérale et assimilée, Grete Weil née Dispeker connaît une enfance choyée, dans un milieu privilégié et cultivé. Son père, avocat, l’initie très tôt à la lecture de Goethe, aux opéras de Mozart et aux randonnées en haute montagne. Jeune fille libre et curieuse, lectrice passionnée, Grete part à Francfort, y suit les cours du philosophe Theodor W. Adorno et s’éprend farouchement de son cousin, Edgar Weil, alors étudiant en philosophie, qu’elle épouse en 1932. Grete a 26 ans et vient d’achever Erlebnis einer Reise (« impressions de voyage », publié en 1999 par Nagel & Kimche, l’éditeur zurichois de la plupart de ses livres, non traduit), une transposition romanesque de ses années de jeunesse sous la République de Weimar.