Cette semaine, « Le Monde des livres » vous conseille la lecture du premier roman imprécatoire de Jean-Pierre Martinet, La Somnolence, réédité cinquante ans après sa parution ; du nouvel essai de l’anthropologue américaine Anna Lowenhaupt Tsing, autrice, en 2017, du Champignon de la fin du monde et qui, dans Notre nouvelle nature, avec d’autres coauteurs, élargit sa démarche à d’autres vivants non humains ; du quatrième roman d’Olivier Mak-Bouchard, fable sauvage, utopie apocalyptique, esquissant des issues à la fin du monde ; du nouveau roman de l’Américain Amor Towles, qui ravive l’âge d’or d’Hollywood, en 1938-1939, aux côtés de l’actrice Olivia de Havilland ; enfin, celle du récit autobiographique de la directrice de l’Institut d’histoire du temps présent, Malika Rahal.
ROMAN. « La Somnolence », de Jean-Pierre Martinet
Né à Libourne (Gironde), en 1944 – ville où il mourut, en 1993 –, Jean-Pierre Martinet fait l’objet depuis quelques années d’une résurrection éditoriale. La réédition de son premier roman, La Somnolence (publié initialement chez Pauvert en 1975) parachève aujourd’hui l’entreprise.
Pour son entrée en littérature, à 31 ans, le jeune homme n’a pas choisi l’écriture de soi. Il a préféré faire vociférer, dans un long monologue, une femme de 73 ans, fille de pasteur, Martha Krühl. Magie de la littérature : aucun narrateur externe ou surplombant ne vient contester ni nuancer les élucubrations de Mme Krühl, de sorte que nous sommes tenus de la suivre, comme des aveugles dirigés par un guide douteux.
Martha Krühl, c’est un peu la folle du bus, au surmoi intermittent, qui veut vous sensibiliser à son délire de persécution en vous tenant la jambe. Ce qui caractérise le fou du bus, c’est qu’il ne condescend pas à vous donner les éléments-clés de son récit. Ici, le contexte est brumeux. Pourtant, le destinataire de ces imprécations se devine par petites touches, comme au jeu du « Qui est-ce ? » : c’est un homme, peut-être l’ex-mari de Martha, et il porte un imper. L’héroïne accuse cet endormi tentaculaire de tous les maux, et voit sa main derrière chaque menu événement qui l’accable, dans une ivresse complotiste.