Comme la haute couture, la haute joaillerie oscille entre le désir de faire évoluer l’offre et la crainte de s’aliéner une clientèle fortunée conservatrice. Aux coups d’éclat, les acheteurs préfèrent souvent les classiques sur lesquels investir : des bijoux avec leur pesant d’or et de pierres précieuses, confortables et qui ne déparent pas dans un gala grand soir. Du 7 au 10 juillet, à Paris, dans un périmètre allant généralement de la rue de la Paix à la place Vendôme, la révélation des dernières collections a surligné cette tension. Quand certains joailliers s’essaient à de nouveaux matériaux ou motifs, d’autres se concentrent sur ce qu’ils savent faire.
Chacun dans leur genre, Mikimoto et Graff incarnent une forme de permanence. La maison japonaise fondée en 1893 choisit les pétales pour thème consensuel et fait la démonstration de sa maîtrise de la perle, sa spécialité. Les perles Akoya apparaissent ainsi dans des formes variées : en rangs, en ras-de-cou, en manchettes et même en plastron. Des enfilades sur lesquelles des pétales en or blanc ou rose éclosent, quelquefois pavés de diamants. Ailleurs, les pétales peuvent être constitués d’or jaune ciselé, de porcelaine émaillée ou encore de péridots ou de saphirs sertis et agglomérés, créant des broches aux allures de vitraux impressionnistes. Le tout, convenu et romantique, s’avère moins aventureux que les crus précédents de Mikimoto, comme les jeux graphiques sur les nœuds (2024) ou les collaborations détonantes avec Comme des garçons (2021) ou Chrome Hearts (2024).
Chez Graff, le diamant reste maître. Le dernier collier en date sorti des ateliers en réunit 7 790 dans une succession d’ovales aux airs sixties, évoquant les formes d’un imprimé qui ne jurerait pas sur une robe vintage Courrèges ou Cardin. Sur les tranches, un trait vert formé par quelques émeraudes vient souligner les courbes. « Résolument Graff », comme vante l’institution londonienne ; la recette, éprouvée, reste efficace.
Chez Mellerio, fondé en 1613, Laure-Isabelle Mellerio rouvre les placards pour se réancrer dans les années 1960 aussi. La directrice artistique a notamment fait remonter trois broches florales des archives, datées de 1964 et 1968 – une marguerite en diamants jaunes, un lys aux saphirs roses, une rose en émeraudes – sur des cordons d’or, les faisant muter ainsi en pendentifs. Un rappel du passé autant qu’une tentative de redonner un lustre moderne à des pièces vintage qui dormaient au coffre. « Pas mal pour le bilan RSE, non ? », plaisante-t-elle.
Chez Tasaki, on s’autorise un contre-pied. La maison japonaise désarçonne en délaissant la perle, qui demeure sa valeur ajoutée. Cette saison, elle préfère insister sur des bijoux façonnés à partir de pierres précieuses. Ses colliers sont structurés en damiers de saphirs, en arceaux de rubis ou en lignes asymétriques de diamants. Objectif ? Montrer au monde qu’elle peut composer avec les gemmes les plus nobles. Mais l’ensemble manque d’une ligne esthétique directrice véritablement claire.
De Beers parvient à un équilibre plus assuré entre son design et son cœur de métier : les diamants. Ceux-ci, tantôt polis tantôt laissés bruts (simplement limés pour éviter les arêtes tranchantes), constellent ses 25 nouvelles pièces, un mélange qui leur confère du caractère. Alors que le diamant jaune est omniprésent en haute joaillerie depuis trois ans, De Beers donne un aperçu du nuancier plus large que peut prendre la pierre : on tombe ainsi sur des spécimens vert d’eau, jade, vert-de-gris, pêche, miel, champagne… Sur quatre parures inspirées par des arbres issus de quatre pays producteurs de diamants – acacia namibien en branches d’or martelé, jacaranda sud-africain aux pétales dessinés, érable canadien aux feuilles en or poli comme un miroir, baobab du Botswana aux branchages chaotiques –, ils sont parfois soulignés ou cernés par de l’émail grand feu (une technique d’émaillage permettant des tons acidulés) ou du bois de jais (du charbon fossilisé).
Après un voyage pour rencontrer les tailleurs de diamants travaillant pour son label, ce sont ces mêmes pays, Afrique du Sud, Namibie et Botswana, qui ont donné à Valérie Messika le désir de rendre un « hommage » au continent africain. Franges de diamants dévalant le décolleté en écho aux chutes Victoria, collier d’or jaune en stries façon sables mouvants, manchette aux angles évidés pour imiter les griffes d’un fauve, boucles en rayures d’onyx et diamants comme le pelage d’un zèbre… La collection de Messika, quoique abstraite dans son traitement, n’évite pas les clichés. Elle est complétée par des pièces plus classiques, pour la première fois exécutées en pierres de couleur : saphirs, rubis, tsavorites, émeraudes. « J’ai rompu mon pacte, convient la créatrice qui a longtemps dit qu’elle garderait le diamant pour seule religion. Mais je l’ai fait pour célébrer cette année les 20 ans de ma marque. Et je ne le regrette pas. »
Enfin, le Brésilien Fernando Jorge revient aux fondamentaux. Indépendante, sa structure recèle une clientèle d’esthètes fidèles qui suit le quadragénaire, sur rendez-vous, à son showroom londonien, dans des galeries d’art huppées ou des foires spécialisées. Ils apprécient l’harmonie architecturée de son style et son usage de matières diverses, du jade au bois. « Cette fois, j’ai dépouillé, pour me concentrer sur une idée toute simple », explique-t-il. Soit un ensemble de lignes d’or parallèles piquées de diamants taillés en baguette (c’est-à-dire rectangulaires) et rien de plus.
Les colliers, bracelets, bagues et boucles d’oreilles, à la rigueur presque Art déco, parviennent à une souplesse reptilienne. Le strict minimum en ce qui concerne les matériaux, mais un charme optimal.