Un thème similaire pour deux interprétations divergentes. Avec leurs dernières collections en date de haute joaillerie, Boucheron et Chaumet ont dialogué à distance. Et ce, bien sûr, sans concertation, le premier étant le laboratoire avant-gardiste de Kering, et le second le joyau traditionnel de LVMH. Au 26 comme au 12 de la place Vendôme, adresses de leurs sièges respectifs, la narration fait à l’unisson l’éloge d’une nature « vulnérable » et « précieuse ».
Au menu ? Des fleurs (iris, magnolia ou fleur d’avoine dans les deux cas) sur lesquelles des insectes butinent, évoluent ou se dissimulent. La thématique florale a beau être la tarte à la crème absolue de la discipline, les deux marques peuvent faire valoir leur pedigree historique pour l’imposer : Frédéric Boucheron a fait merveille, au XIXe siècle, avec des bijoux végétaux réalistes tandis que Chaumet se revendique « joaillier naturaliste » depuis sa fondation en 1780.
Cette approche quasi botaniste s’exécute, chez ce dernier, avec or blanc et pavage de diamants comme base. Des matériaux qui permettent de représenter en détail les frondes des fougères, les nervures des feuillages, les gouttes de rosée qui perlent, et, chez les animaux, les ailes d’une libellule ou le plumage effilé d’une hirondelle. A ce traitement littéral, Chaumet ajoute des gemmes de couleur de bonne tenue : ici, trois émeraudes pour figurer un trèfle ; là, une variété de spinelle (rose pâle, bleu, violine) pour éclairer des iris.
Perles de culture chinoises parme, grenats spessartites orange sanguine, tourmaline vert olive… Le conservatisme de la marque, qui la fait parfois se limiter aux pierres élitistes (diamant, rubis, émeraude, saphir), s’efface cette fois au profit d’une palette plus variée et plus stimulante. Ne manque qu’un zeste d’audace et parfois un supplément de délicatesse afin de simuler mieux encore la fragilité de la nature.
C’est notamment ce que réussit Claire Choisne, la directrice des créations de Boucheron. Ses nouveautés atteignent un niveau de finesse épatant. Les pistils d’or, terminés par des diamants miniatures, tremblotent, tandis que les pétales d’une tulipe ou les feuilles d’un eucalyptus, en verre poli puis dépoli, créent un effet givré. La moindre feuille, fleur ou cosse (glycine, avoine, cyclamen…) semble soufflée par le vent ; un phasme en or blanc ajouré paraît prêt à décoller et une étonnante chenille se plie avec son corps d’or, diamants et spinelles, rendu duveteux par l’insertion de vrais poils de pinceau.
« Nous avons privilégié une échelle réaliste et cherché l’équilibre entre classicisme et innovation », dit Claire Choisne de ces bijoux qui, en majorité, s’accrochent en broches ou se fixent dans les cheveux. Ainsi d’une fleur de pavot en titane nappé de Vantablack, revêtement carboné qui absorbe la lumière, ou de ce chardon stupéfiant en résine biosourcée imprimée en 3D et cousue de 600 diamants.
A rebours du colorama de Chaumet, Boucheron se limite au noir et blanc. Ses 28 bijoux ne sont pas vendus à l’unité mais en six bouquets. Chacun regroupe ainsi trois ou quatre végétaux et un insecte, à ranger dans leurs « vases », structures courbes fabriquées en Corian (un matériau minéral très résistant), en résine et sable noir ou en or pavé – verser de l’eau à l’intérieur n’est évidemment pas requis ! Des objets d’art à part entière. « Je voulais parvenir à des sculptures qui pourraient aussi rester exposées dans un salon », explique Claire Choisne, qui supervise ici un de ses coups les plus magistraux. Et prouve qu’un thème, aussi éculé soit-il, peut s’avérer moderne lorsqu’on ose s’émanciper des conventions créatives.