La taille haute et l’embonpoint débordant n’empêchent pas l’homme de prendre ses aises dans la diligence qui le remonte, en ce mois de juin 1843, de Marseille à Paris. Sous le cheveu crépu et l’épais sourcil, l’œil vif et bleu dévore un récit dont il a d’emblée compris tout ce qu’il pouvait en tirer : les Mémoires de Monsieur d’Artagnan, capitaine lieutenant de la première compagnie des mousquetaires du roi, contenant quantité de choses particulières et secrètes qui se sont passées sous le règne de Louis le Grand, édités en 1700 et signés d’un certain Courtilz de Sandras. Alexandre Dumas, puisque c’est de lui qu’il s’agit, les a dégotés dans la bibliothèque de la cité phocéenne où l’a entraîné son grand ami Joseph Méry. A Paris, les deux hommes, écrivains et républicains, fréquentent les mêmes cénacles littéraires. Mais, à Marseille, dont il est originaire, c’est Méry qui sert de guide. Or son frère, Louis, est l’archiviste de la ville, et Alexandre Dumas qui, à 41 ans, craint plus que tout l’inaction et l’ennui, est en manque de lecture. Et avide de nouvelles histoires à exploiter.
C’est ainsi que, nullement gêné par les cahots de la route qui brinquebalent l’équipage, l’écrivain qui, depuis longtemps, triomphe dans les théâtres parisiens est plongé dans sa lecture, en train d’imaginer le roman que l’on sait. Louis Méry aura beau réclamer ses livres, il ne les reverra jamais. Alexandre Dumas a déjà la tête ailleurs. Et puis il s’en fout. Dumas est comme ses héros : hâbleur, fonceur, batailleur, orgueilleux, aventurier, et se jouant des règles si celles-ci entravent sa liberté.