Le mot semble aussi suranné que la senteur qui s’en dégage. Encaustique. Ce mélange de cire d’abeille et de térébenthine, substance naturelle récoltée sur les arbres résineux, comme le pin, sert à rénover, à entretenir et à faire briller parquets, escaliers, plinthes et meubles. Outre qu’il rappelle de façon subliminale l’intérieur de l’armoire d’une maison de campagne, le solvant que constitue la térébenthine permet de fluidifier la cire en la rendant plus facile à appliquer.
Les marques du marché comme Les 3 frères ou La Triomphante et O’Cedar ont conservé les codes d’autrefois : la couleur rouge orangé et le format bidon, en métal. Surgit alors l’image d’une tante ou d’une mère, debout, qui frotte le parquet en s’aidant du balancement de ses bras, donnant à ce rituel domestique une fluidité presque dansante. « Sans effort, tout brille », affirmait une ancienne publicité en enjolivant quelque peu la vérité.
L’odeur chaude, boisée miellée, herbacée, avec par-ci, par-là quelques nuances de cuir, de tabac et de foin, se répand immédiatement dans toute la maison. Pour résumer l’impression ressentie, c’est un peu le miel mêlé à la forêt. Une odeur qui a ceci d’attachant qu’elle parle d’abord d’enfance.
Si, à l’arrivée du printemps, il était de tradition de « passer l’encaustique » sur les meubles, les escaliers et les lames de plancher, l’habitude est peut-être un peu moins saisonnière aujourd’hui, un peu moins absolutiste aussi. Mathilde Laurent, nez de la maison Cartier, se souvient de l’appartement parisien de sa grand-mère corse, dans le 14e arrondissement, qui sentait bon l’encaustique, en particulier lorsqu’elle y recevait famille et amis, reconstituant ainsi l’atmosphère chaleureuse de son village de montagne : « Elle voulait que tout soit impeccable, alors tout était soigneusement ciré. Cette odeur que mon nez de petite fille trouvait étrange et fascinante à la fois m’évoque aujourd’hui des moments heureux où toute la famille était rassemblée et où j’apprenais les codes de la société. »
Dans l’art du parfum, l’odeur de la cire d’abeille – bien qu’elle soit difficile à manier en raison de son animalité – est un marqueur d’audace et d’élégance. Elle enrichit de naturalité un accord floral et apporte une certaine patine à la composition, comme l’illustre si bien le parfum Féminité du bois, de Serge Lutens. Un peu comme si le parfum avait macéré un temps infini dans la cuve.
Mathilde Laurent a signé l’un de ses grands succès avec cette délicieuse odeur miellée : L’Envol, de Cartier, fragrance masculine sortie en 2017. « Dans ce cas précis, je ne recherchais pas précisément à retrouver l’odeur de l’encaustique mais plutôt l’évocation du vin de miel, l’hydromel, la boisson des dieux de l’Olympe. » Dans tous les cas, une senteur d’antan, rassurante, nourricière et ensoleillée.