La main de la justice brésilienne n’a pas tremblé. Au terme d’un procès rigoureux, l’ancien président Jair Bolsonaro a été jugé coupable, le 11 septembre, d’une tentative de coup d’Etat, après l’élection présidentielle perdue face à Luiz Inacio Lula da Silva, en octobre 2022. La gravité des faits explique la sévérité de la peine prononcée, vingt-sept ans et trois mois de prison, par le Tribunal suprême fédéral, la plus haute instance judiciaire, à qui revenait la charge de juger l’ex-président. Cette sentence pourrait être aménagée compte tenu de la santé chancelante du condamné, âgé de 70 ans.
Cette condamnation est exemplaire, quoi qu’il advienne des efforts des soutiens de Jair Bolsonaro pour faire adopter une loi d’amnistie. Elle rappelle à tous ce qui devrait être une évidence : le premier principe de la démocratie est que l’exercice du pouvoir dépend du verdict des urnes, et certainement pas de la mise à sac des institutions. Pour un pays soumis à l’arbitraire et à la brutalité d’une dictature militaire jusqu’en 1985, ce jugement est une preuve de maturité, tout comme la présence, parmi les autres condamnés, de six gradés, dont trois généraux.
Il est d’autant plus regrettable que ce jugement ait fait l’objet, à peine prononcé, des critiques incendiaires des Etats-Unis, par la voix du secrétaire d’Etat, Marco Rubio. Ce dernier, fils d’exilés cubains, devrait pourtant être capable de distinguer un factieux d’un démocrate. Marco Rubio ne s’est pas contenté de la dénonciation scandaleuse d’une « chasse aux sorcières » et de « persécutions politiques », comme le fait systématiquement l’extrême droite face aux décisions de justice, y compris en France.
Il a également agité la menace de représailles supplémentaires, alors que le Brésil fait déjà face à des surtaxes douanières que Donald Trump a imposées, au mépris des règles, pour faire pression sur les juges de Brasilia. Avec le résultat que l’on sait désormais. Washington voudrait pousser à toute force un poids lourd du continent américain dans les bras de Pékin qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
La virulence de cette ingérence américaine frappe d’autant plus que le Brésil a réussi là où la puissance qui s’est longtemps présentée comme la boussole du monde libre a piteusement échoué. Artisan d’une contestation véhémente des résultats de la présidentielle de 2020, qu’aucune preuve de fraude n’a jamais pu étayer, Donald Trump a pu compter sur la servilité du Parti républicain, comme sur la complaisance de juges nommés par ses soins à la Cour suprême, pour échapper à toute forme de poursuites. Il a ajouté ensuite l’outrage à l’injustice en graciant les responsables d’un assaut sans précédent contre la démocratie américaine, à Washington, le 6 janvier 2021.
Cette victoire démocratique brésilienne n’est cependant pas complète. « L’histoire nous enseigne que l’impunité, l’inaction et la lâcheté ne mènent pas à l’apaisement », a assuré, à juste titre, le rapporteur du procès, Alexandre de Moraes. La polarisation politique à outrance dont les Etats-Unis ont été le laboratoire, et qui a contaminé le Brésil, fait malheureusement que le jugement du 11 septembre n’a pas encore permis de tourner une page sombre de l’histoire du pays. Il a, au contraire, ravivé ses fractures, en dépit du déplorable bilan, notamment environnemental et sanitaire, du mandat de Jair Bolsonaro. Le défi de la réconciliation reste à relever.