Hollywood, années 1970. La fin du système des studios hollywoodiens débarrasse l’industrie de sa très contraignante « fabrique de stars » : la voie est libre pour les physiques atypiques, les gueules bizarres qu’on pouvait croiser dans la rue, sans intervention du glamour. Dustin Hoffman, Al Pacino, John Cazale pour les hommes. Barbra Streisand, Sissy Spacek, Diane Keaton pour les femmes. Shelley Duvall fut, à ce titre, une beauté plus qu’atypique, carrément excentrique : les pommettes hautes, d’immenses globes oculaires qui, avec ses grandes dents en avant, semblaient se disputer le règne du visage. Sa voix de petite souris finissait de la rendre cartoonesque – quelque part entre la mannequin Twiggy, égérie des sixties, et un « Buster Keaton au féminin », dixit la critique Pauline Kael.
L’actrice est morte jeudi 11 juillet dans son sommeil à son domicile de Blanco, au Texas à l’âge de 75 ans. Née en 1949 à Fort Worth au Texas, elle a tout juste 20 ans lorsque, vendeuse de cosmétiques, Robert Altman (1925-2006) la repère et lui confie un rôle dans Brewster McCloud (1970). Entre 1970 et 1980, ils feront sept films ensemble, dont le magnifique Nashville (1975). Dans cette Amérique filmée comme une fourmilière détraquée sur fond de musique country, Duvall est dans son élément. Le cinéaste souligne la dimension irréelle de son actrice fétiche en lui confiant le rôle d’Olive, la compagne de Popeye (1980).
Mais sans doute ne l’a-t-il jamais aussi bien comprise que dans Trois femmes (1977), splendide exercice de style qui regarde vers le cinéma d’auteur européen. Elle incarne l’étrange Millie Lammoreaux, véritable poupée vivante, tombant en admiration devant sa nouvelle collègue. Elle remporte le Prix d’interprétation à Cannes pour ce rôle qui lui colle à la peau : cette candeur qui serre le cœur, ce visage bizarre qui la détache toujours un peu du monde, l’isole du reste du casting. Trois femmes le dit avant Stanley Kubrick : essayez de déplier l’imaginaire que renferme Duvall, vous y trouverez un paysage cauchemardesque, voire les prémices d’un film de David Lynch.
En 1980, après l’échec cuisant de Barry Lyndon, Kubrick surfe sur la mode de l’horreur et adapte le dernier roman de Stephen King, The Shining. Dans ce récit, où l’horreur se dispute au surnaturel, une famille se désintègre sous le coup de la folie alcoolisée du père, Jack Torrance. Kubrick choisit Shelley Duvall pour faire face à Jack Nicholson, l’acteur le mieux payé d’Hollywood. Le tournage est au-delà de l’éprouvant : cinquante-six semaines, six jours par semaine, jusqu’à seize heures par jour et 35 prises par scène.