Berlin-Est, un soir d’été pluvieux. Rien n’indique que le cours de l’histoire va brutalement changer, qu’un mur va tomber et un pays tout entier disparaître. Rien, si ce n’est le premier regard échangé, ce 11 juillet 1986, entre Hans et Katharina. Construit sur la résonance profonde entre l’intime et le politique, Kairos, de Jenny Erpenbeck, publié en Allemagne en 2021 et couronné par le prestigieux International Booker Prize en 2024, livre, à travers l’histoire d’une passion destructrice, sa propre interprétation des dernières heures de la République démocratique allemande (RDA).
Dès les premières pages, la RDA n’est plus et Hans est déjà mort. Assise à même le sol, Katharina est face à un « champ de ruines ». Toute leur histoire gît là, pêle-mêle, dans la poussière des décennies : fin, début et milieu, lettres et listes de courses, mèche de cheveux et feuilles d’arbres séchées. D’abord hésitante, puis guidée par Kairos, « le dieu de l’instant propice », Katharina se décide à ouvrir les deux vieux cartons de souvenirs : « Il était grand temps que je raconte nos histoires. Celles des habitants de l’ancienne RDA qui ont été sous-représentées pendant des décennies », a déclaré Jenny Erpenbeck au quotidien britannique The Guardian à l’occasion de la remise de son prix.