Il fallait être à Paris, à l’automne 2021, pour voir se réaliser un rêve vieux de soixante ans. Celui de Christo et Jeanne-Claude, célèbre duo d’artistes contemporains réputés pour leurs installations aussi gigantesques qu’éphémères. Au cours de leur carrière, ils ont installé un rideau couleur safran dans un parc du Colorado, construit une plateforme flottante sur le lac d’Iseo, en Italie, et recouvert de tissu le palais du Reichstag, à Berlin, ou le Pont-Neuf parisien.
En septembre 2021, l’Arc de triomphe est « emballé » dans un tissu argenté maintenu de cordes rouges. L’aboutissement d’un projet imaginé en 1961, alors que le couple vivait près de la place de l’Etoile. Plusieurs fois repoussée, notamment à cause de la crise sanitaire, cette installation scintillante voit finalement le jour après le décès des deux époux, en 2009 pour Jeanne-Claude et en 2020 pour Christo. Le drapé aura été l’un des éléments centraux de l’œuvre du duo, qui, à travers le tissu, dissimulait autant qu’il révélait les monuments ainsi empaquetés.
C’est exactement ce qui se joue aujourd’hui dans la mode, où draper permet de brouiller les frontières entre le visible et l’invisible. Cette saison, Alaïa en fait des robes serpentines s’enroulant autour du corps, Balmain enveloppe ses amazones de grands pull-overs à capuche très eighties, quand Balenciaga imagine de luxueux manteaux tombant jusqu’au sol.
Ainsi, le drapé se présente moins comme une tradition textile héritée de l’Antiquité que comme un langage contemporain, ouvert à toutes les interprétations. Une étoffe jetée sur les épaules convoque une certaine idée de la nonchalance quand, nouée sur la cuisse, elle devient soudainement sexy.
Antitailleur par excellence, le drapé s’affranchit des lignes strictes pour leur préférer la chute, le nœud, la torsion, le pli. Proposant, dans une époque obsédée par les silhouettes nettes et calibrées, une autre idée du corps, plus mouvant voire instable.
Tour à tour protection, étendard et parti pris stylistique, le drapé devient la somme de nos contradictions : il protège et magnifie, recouvre et expose, singularise et rassemble. Plus qu’une technique de couture, le voilà aujourd’hui une toile sur laquelle chacun projette ses envies.