« Le Ministère des rêves », de Momtchil Milanov : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Momtchil Milanov, dont Le Ministère des rêves est le premier roman, n’a sans doute pas beaucoup de souvenirs de la Bulgarie communiste : il est né en 1986. Son personnage, de 1986 également – l’année du passage de la comète de Halley –, non plus. Cette ombre plane pourtant ; et lorsqu’un dirigeable s’installe au-dessus de la ville de Graystadt, il est difficile de ne pas penser au palais de Bouzloudja, la maison du Parti communiste bulgare en forme de soucoupe volante inaugurée en 1981 et abandonnée depuis 1989. Mais c’est peut-être une autre menace qui pèse sur une ville et sur un pays, et qui fait peur, comme « l’avenir dont tout le monde parlait mais que personne n’avait jamais vu », celle d’un nouveau régime de surveillance et de privations des libertés, qui serait devant nous et non plus derrière nous.

Le dérèglement du temps est le sujet principal du Ministère des rêves. Chez lui, le diplomate Stern regarde au même moment la pendule du salon et sa montre, qui n’indiquent pas la même heure. Tantôt le temps s’arrête et fait du sur-place ; tantôt il apparaît « comme un train traversant en trombe une vallée déserte ». Son fils, qui s’appelle aussi Stern, est parfaitement à l’aise dans ce décrochage. Il dort avec un lapin que son père lui a rapporté d’Istanbul trois ou quatre cents ans auparavant et commande des histoires par téléphone. Il est convaincu que les rêves ne sont pas là pour qu’on les raconte, mais pour qu’on les vive, et il a pour mission de sauver les « générateurs de rêves », menacés par l’imminence d’un coup d’Etat. « Dans sa liste des choses impardonnables figurait en première place le manque d’imagination. » Le point de vue de l’enfant domine presque toute la narration. Il infuse une atmosphère qui tient autant de l’expérience du chat de Schrödinger – les choses peuvent être et ne pas être en même temps – que de celle d’Alice avec le chat du Cheshire, qui laisse, dans le sillage de ses disparitions provisoires, son sourire énigmatique de sage et de fou.

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