Au cœur de l’actualité politique de ces dernières semaines, la question de la montée de l’extrême droite a rythmé la première journée du Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne) qui s’est ouvert vendredi 12 juillet. L’année passée, le rendez-vous avait rassemblé 8 500 festivaliers sur trois jours, soit une augmentation de 28 % par rapport à 2022.
Après la séquence politique ayant suivi la victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes, le 9 juin, avec un score de 31,37 % et la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron, des modifications ont été apportées à la programmation initiale de la 8e édition du festival organisé par le Groupe Le Monde. Les festivaliers ont notamment pu profiter d’une rencontre avec des journalistes correspondants en France pour le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, lors d’un échange sur les spécificités du RN par rapport aux autres extrêmes droites européennes, ou encore suivre une conférence sur le parti Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne. Aux côtés de Sylvie Kauffmann, éditorialiste au Monde, et Gabriela Keller, journaliste d’investigation pour le site allemand Correctiv, Cécile Leconte, professeure de science politique à Sciences Po Lille, a établi une comparaison entre l’AfD et le RN, en précisant que « le vote pour l’extrême droite est avant tout un vote anti-immigration ».
La chercheuse nuance toutefois les points communs entre les deux formations politiques, notamment sur leur stratégie. « L’AfD va plus loin car il n’a pas la même stratégie de dédiabolisation que le RN, qui cherche à donner l’illusion de nouveau parti », explique la politologue. La journaliste Gabriela Keller est, elle, revenue sur les révélations faites par Correctiv sur une réunion ayant eu lieu entre les membres de l’AfD et des néonazis pour évoquer la « remigration » d’Allemands d’origine étrangère.
« Remigrer » pour éviter, selon eux, d’être « grand-remplacé ». Ce fantasme était aussi au cœur d’un échange entre Cécile Leconte et le politologue Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS. Rappelant les origines de cette théorie d’extrême droite ainsi que ses composantes complotistes et antisémites, la professeure la définit comme un « imaginaire de submersion migratoire et de mise en minorité d’un groupe majoritaire, avec l’idée qu’une “contre-colonisation” peut se produire ». Comme le rappelle son collègue, les chiffres vont en vérité à l’encontre de cette théorie, popularisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus qui « lui-même se fichait des chiffres, il disait que ça se vérifiait par l’expérience individuelle », précise Patrick Weil. Même si la population immigrée a augmenté en France entre 2000 et 2020 – la part était d’environ 7 % de la population totale en 2000 et de 10 % en 2020, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques –, le chercheur souligne l’importance des méthodes de comptage, notamment le fait d’inclure ou non les étudiants étrangers, comme c’est le cas actuellement, qui souvent ne restent pas sur le territoire.
« Un tiers de la population du Lot-et-Garonne est d’origine italienne, et cela n’a été source que d’enrichissements », affirme un festivalier. « Je me demande pourquoi on ne considère jamais l’immigration comme une bonne chose, pourquoi l’attitude est exclusivement défensive sur ce sujet ? », questionne-t-il, applaudi par l’audience. D’après Cécile Leconte, il existe plusieurs manières pour les partis dits « de gouvernement » de récupérer les thèmes chers à l’extrême droite, mais il est rare qu’ils choisissent de leur opposer un argumentaire, par exemple sur la richesse culturelle issue de la diversité ou la nécessité économique de l’immigration.
Un peu plus loin, aux abords de l’église du village de Couthures, des journalistes italien, britannique et espagnol, correspondants en France pour les journaux Corriere della Sera, The Guardian et El Pais, comparent les extrêmes droites de leurs pays respectifs au RN, tentant de dégager ses spécificités.
Tout comme en France, Fratelli d’Italia, le parti de la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, essaie de se « normaliser », selon Stefano Montefiori, tandis qu’en Espagne, comme l’explique Marc Bassets, le parti d’extrême droite Vox ressemble davantage à Reconquête !, le parti d’Eric Zemmour, qu’au RN, « avec un vote urbain, bourgeois » et une portée « qui reste plus faible qu’en France ». L’exemple du Royaume-Uni montre que des partis dits « modérés » peuvent mener des politiques d’extrême droite sans en avoir l’étiquette. « Même un parti comme le Rassemblement national ne penserait pas à envoyer les réfugiés au Rwanda », ironise Jon Henley, journaliste au Guardian, qui rejoint l’opinion de son confrère Marc Bassets sur un point : « C’est notre devoir d’écouter, de répondre à des individus ou des responsables politiques qui ont ce genre d’idées, de les entendre pour mieux les décrypter. »