Pendant soixante-dix ans, Gay Talese a dîné dehors tous les soirs, clôturant chacune de ses journées par un gin martini agrémenté d’un zeste de citron. Mais depuis un an, il ne sort plus. Nan, son épouse depuis soixante-six ans, gravement malade, se déplace en fauteuil roulant. Lui assure ses pas à l’aide d’une canne. Finies, donc, les réservations dans les restaurants de Manhattan où chaque serveur, barman et maître d’hôtel l’accueillait d’un révérencieux « Good evening, Mr Talese », empochant le billet de 20 dollars qu’il leur glissait d’un geste fluide pour obtenir la meilleure table et les remercier de leur attention.
« J’ai 93 ans, et s’il y a une chose à redouter à mon âge, c’est la chute. Elle peut être fatale », souligne le journaliste et écrivain lorsque nous le rencontrons chez lui, à New York, dans sa maison de l’Upper East Side, fin août. Chemise rayée rouge et blanc, veston et veste beiges, pantalon marron, boutons de manchettes et pochette, il est, comme à son habitude, impeccablement vêtu.
Auteur de monuments de la presse américaine du XXe siècle (certains de ses papiers apparaissent régulièrement dans les sélections des meilleurs articles publiés en langue anglaise), il est aussi le survivant d’un âge d’or dont les témoins reposent presque tous six pieds sous terre. Une époque où les journaux et magazines se vendaient par centaines de milliers d’exemplaires, et où ceux qui y travaillaient jouissaient d’une renommée internationale en rendant compte du réel avec style.