« Soixante-dix fantômes », de Nathalie Quintane : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Soixante-dix fantômes est sous-titré (choses vues) : comme l’ouvrage posthume (1887-1900) de Victor Hugo rassemblant des observations notées au jour le jour, sans régularité, portant quelques fois sur des affaires personnelles, mais surtout sur les événements politiques. Nathalie Quintane assume cette position de témoin du présent en consignant des faits et scènes qui ont eu lieu entre juin et juillet 2024, et dans la période qui a immédiatement suivi. C’est le moment du bac et du brevet pour les enseignants qui, comme elle, font passer les examens de fin d’année ; bientôt la sortie des classes et les grandes vacances. L’ordre de la saison est néanmoins perturbé par une péripétie inattendue : l’Assemblée nationale a été dissoute par le président de la République, les Français se préparent à voter de nouveau, certains sont contraints de repousser leur départ.

De la petite ville du sud de la France où elle habite depuis près de trente ans (Digne-les-Bains, où le candidat du Rassemblement national obtiendra au second tour plus de 54 % des voix), Quintane observe des situations qui semblent annoncer l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. La parole se délie, le racisme s’exprime librement, les valeurs se retournent. Elle cherche alors à saisir le moment où l’atmosphère s’alourdit d’un discours où tout se dit plus haut et plus fort, relevant de ce qu’elle nomme « un fascisme quotidien (qui n’est pas « ordinaire », le fascisme n’est jamais ordinaire), un fascisme de la poire et du fromage, du tour à vélo et des courses à Carrefour ». Cela tient parfois à de minuscules détails : une phrase prononcée chez le boucher, la forme d’une paire de lunettes ou la matière d’un vêtement, un geste attrapé sur le vif mettent en branle l’imaginaire. Surgissent alors les fantômes de l’autoritarisme : on n’est pas encore dedans mais on s’imagine y être. « Et puis début juillet, une fois les trois semaines passées, c’est redevenu comme avant, pour ainsi dire. »

Recomendar A Un Amigo
  • gplus
  • pinterest
Commentarios
No hay comentarios por el momento

Tu comentario