Ramener à la lumière un pan de mémoire oublié. La ressortie en salle de Moi Ivan, toi Abraham (1993) ravive la démarche entreprise par Yolande Zauberman pour concevoir son premier long-métrage de fiction. La cinéaste s’était plongée dans de nombreuses photos de la Pologne des années 1930 et était allée à la rencontre de juifs survivants de la Shoah pour qu’ils lui racontent leur jeunesse d’avant-guerre. Des souvenirs tus ou effacés d’un monde englouti auxquels le film redonne vie par une foule de détails, à commencer par la langue, ce yiddish propre à l’Europe de l’Est que parlait sa grand-mère. Dans un beau noir et blanc qui ancre le récit dans un passé pourtant tout sauf figé, Moi Ivan, toi Abraham regorge de chants, de microrécits et de rituels qui donnent corps à toute une société complexe où s’entremêlent les questionnements religieux, sociaux et politiques.
Yolande Zauberman, qui s’était intéressée avec ses premiers documentaires à l’apartheid en Afrique du Sud (Classified People, 1988) et au système des castes en Inde (Caste criminelle, 1990) dessine une nouvelle fois ici un monde marqué par de nombreuses fractures et tensions. Son cinéma est alors travaillé par la fabrique de l’« autre » comme source d’exclusion. Le titre même du long-métrage renvoie à cette division poussée des identités.