Le 4 décembre, la police interpelle Ahmed Nejib Chebbi, 81 ans. Le parcours de cet avocat résume près de soixante ans de la vie politique tunisienne. Engagé dans le mouvement d’extrême gauche Perspectives dans les années 1960, Chebbi fut parmi les premiers à comparaître devant la Cour de sûreté de l’Etat, une juridiction d’exception instaurée par Habib Bourguiba [président de la République tunisienne de 1957 à 1987] afin de mater l’opposition. Au fil des décennies, il devint une figure majeure de l’opposition démocratique. En 2011, à la chute de Ben Ali, Ahmed Nejib Chebbi a brièvement occupé un poste de ministre avant d’être élu député constituant. Durant la décennie postrévolutionnaire, il fut dans l’opposition. Renonçant à se présenter à la présidentielle de 2019, il met en garde contre le danger que constituerait une victoire de Kaïs Saïed. Le 25 juillet 2021, il fait partie des rares voix qui dénoncent un coup d’Etat institutionnel, et s’allie à Ennahda [parti islamiste conservateur] dans un Front du salut national.
En 2023, alors que le régime commence à cibler pénalement ses opposants, le nom d’Ahmed Nejib Chebbi apparaît dans l’affaire dite « du complot contre la sûreté de l’Etat ». Dans ce dossier hors norme fondé sur des témoignages anonymes et dans lequel la défense dénonce la violation des procédures et de la présomption d’innocence, Kaïs Saïed rend très vite son verdict : « Celui qui osera les innocenter sera considéré comme leur complice », tranche, devant les caméras, le magistrat suprême. Au lendemain de cette déclaration, Issam Chebbi, le frère d’Ahmed Néjib, est interpellé dans le cadre de la même affaire. Parmi les pièces à charge de l’accusation figurent des échanges anodins d’analyses politiques entre les deux frères, interprétés par le pouvoir comme une preuve de machination.
Le 28 novembre, alors qu’elle n’a pas interrogé la majorité des prévenus, la cour d’appel de Tunis annonce des peines allant de cinq à quarante-cinq ans [d’emprisonnement]. Issam Chebbi voit sa peine passer de dix-huit à vingt ans, tandis que celle d’Ahmed Nejib Chebbi est ramenée de dix-huit à douze ans. Les autorités procèdent à l’arrestation des trois condamnés demeurés libres sur le territoire. Ainsi, la poétesse Chaïma Issa, condamnée à vingt ans, est violemment interpellée le lendemain lors d’une manifestation féministe. Les policiers arrêtent également l’avocat Ayachi Hammami, 66 ans. Cette figure de la gauche tunisienne doit purger une peine de cinq ans pour « appartenance à une organisation terroriste ». Amnesty International dénonce un « simulacre de procès » et des « condamnations injustes ».