Les devoirs de l’extrême droite victorieuse au Chili

La troisième fois aura été la bonne pour José Antonio Kast. Sa victoire éclatante à l’élection présidentielle chilienne, dimanche 14 décembre, permet à l’extrême droite de revenir par la grande porte au palais de la Moneda, là où Salvador Allende avait dramatiquement mis fin à ses jours en 1973, après s’être opposé jusqu’au bout au coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet, préambule à une longue nuit pour les libertés. José Antonio Kast a mis à profit le mécontentement des Chiliens face à l’insécurité et à une immigration irrégulière alimentée par les désordres vénézuéliens pour l’emporter, même si le pays reste parmi les plus sûrs de l’Amérique latine. Il a également promis des coupes claires dans les dépenses publiques.

Quatre ans plus tôt, en 2021, la gauche avait pourtant été plébiscitée pour avoir proposé plus de justice sociale dans un pays particulièrement inégalitaire, théâtre, au cours des mois précédents, d’un vaste mouvement de contestation sociale. Mais elle a déçu. Ces alternances, fondées sur les attentes successives du peuple, sont en théorie des indicateurs de bonne santé démocratique, mais la nostalgie d’une dictature de près de dix-sept ans, longtemps entretenue par le nouveau président qui prendra ses fonctions en mars, à 60 ans, invite à la vigilance.

Cette nostalgie a été nourrie des liens multiples et étroits qui avaient existé entre la famille de José Antonio Kast, dont le père, d’origine allemande, fut un thuriféraire du nazisme, et le régime Pinochet. Le président élu a pris soin de la passer sous silence pendant la campagne. Comme il a évité de donner libre cours à un conservatisme étroit, peu porté sur le compromis à propos de nombreuses questions de société. Le droit à l’avortement, encore très encadré au Chili, la contraception, le divorce ou le mariage homosexuel ont été ses cibles dans un passé récent.

José Antonio Kast sera d’autant plus contraint à l’habileté qu’il ne va pas disposer d’une majorité absolue au Congrès. Il devra parvenir à mettre sur pied une coalition avec la droite et une autre formation d’extrême droite pour pouvoir espérer gouverner autrement que par décrets. Mais il a donné des signes parfois contradictoires à propos du respect des institutions.

En 2021, il avait aussitôt reconnu sa défaite face au candidat de gauche, Gabriel Boric, qu’il avait appelé pour le féliciter. Plus récemment, José Antonio Kast a, en revanche, couvert d’éloges l’homme fort du Salvador, Nayib Bukele. Or ce dernier s’est appuyé sur une popularité acquise avec les succès de sa lutte contre la criminalité pour supprimer les contre-pouvoirs du pays. Cet allié du président des Etats-Unis, Donald Trump, est même parvenu à être reconduit dans ses fonctions en 2024, en dépit de six articles de la Constitution salvadorienne interdisant la réélection immédiate d’un président sortant.

Depuis le retour à la démocratie, les responsables politiques chiliens successifs, venus d’horizons politiques parfois opposés, ont gouverné avec une mesure qui a contribué à faire de leur pays un modèle de stabilité. Le mouvement de protestation contre les inégalités sociales, en 2019, avait fait la preuve de la vitalité de la société civile. Il faut souhaiter que cette dernière se montre capable de rappeler à l’ordre le président élu s’il remet en cause les acquis de la démocratie et s’il considère sa franche victoire comme une invitation à une dérive autoritaire.

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