Le sommet des chefs d’Etat européens, qui se tient à Bruxelles les 18 et 19 décembre, est un test crucial sur la capacité des Vingt-Sept à mettre enfin en œuvre le concept d’« Europe puissance ». Brandi par ses dirigeants comme un étendard, le terme a eu, jusqu’à présent, du mal à se traduire dans les faits. La décision qu’ils prendront sur le sort des avoirs russes gelés en Europe s’annonce déterminante pour la crédibilité de l’Union européenne (UE) face à l’agressivité russe et au mépris américain.
L’enjeu réside dans l’utilisation des 210 milliards d’euros de la Banque centrale de Russie qui sont actuellement bloqués sur le sol européen au titre des sanctions internationales prises dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine. La suspension de l’aide américaine depuis l’élection de Donald Trump et l’essoufflement de la capacité européenne à soutenir Kiev obligent les Vingt-Sept à trouver de nouvelles ressources pour maintenir le pays à flot. C’est urgent car, au cours du premier semestre 2026, il sera à court de liquidités. D’où la solution de se servir des avoirs russes pour lever de l’argent dans le cadre d’un « prêt de réparation » au bénéfice de l’Ukraine.
La difficulté consiste à utiliser ces avoirs, tout en respectant le droit international. La Commission européenne a fait une proposition permettant de surmonter la plupart des obstacles juridiques. L’UE lèverait des fonds en demandant aux institutions dépositaires des avoirs russes de les lui prêter à taux avantageux. L’argent serait ensuite mis à disposition de l’Ukraine, qui rembourserait le prêt dans l’hypothèse où la Russie consentirait à lui verser des réparations au titre des dommages de guerre. Ce mécanisme complexe évite que l’opération soit assimilée à une confiscation.
La proposition fait l’objet d’un large consensus au sein des Vingt-Sept, à l’exception notable de la Belgique, où se trouve l’essentiel des actifs russes, regroupés au sein d’Euroclear, une institution financière de dépôt basée à Bruxelles. Les inquiétudes du premier ministre belge, Bart De Wever, sont légitimes. Des agents russes ont proféré des menaces physiques contre le personnel d’Euroclear, tandis que Moscou multiplie les procédures judiciaires contre la société belge. L’UE a répondu à ces inquiétudes en s’engageant à faire jouer la solidarité européenne en cas de représailles, notamment en matière de garanties budgétaires.
Mais il est aussi légitime de s’interroger sur les motivations réelles des réserves exprimées par Bart De Wever, un nationaliste flamand qui, il y a quelques jours, déclarait qu’il n’était pas souhaitable que la Russie perde la guerre. S’il est compréhensible que la Belgique ne veuille pas se retrouver seule en première ligne, il est impératif que son dirigeant clarifie ses positions sur son soutien à l’Ukraine, enjeu majeur pour la sécurité européenne.
Les Vingt-Sept peuvent techniquement se passer de l’accord de la Belgique, mais pas politiquement. Un passage en force provoquerait une crise à l’issue incertaine. Mais ne pas utiliser les avoirs russes serait encore plus dommageable. Cela acterait l’incapacité de l’UE à entrer dans le rapport de force, en pliant à la première intimidation. Face à une Russie qui intensifie sa guerre hybride contre l’Europe, il est vital pour cette dernière de se faire respecter. Les avoirs russes constituent l’un des rares leviers pour faire valoir ses intérêts. Y renoncer enverrait un message désastreux à ses ennemis comme à ceux qui croient encore dans le projet européen.