Marie Bescond-Kophidès pioche dans ses contenants étiquetés « kacha cuite » ou « choux pointus braisés ». Elle extirpe de ses timbres (de petites armoires réfrigérées) une tourte dorée ou un moule de rillettes de poulet à l’estragon, c’est selon. L’équipement est spartiate, un feu où une simple casserole de jus fumant lui sert à napper de sauce soubise une queue de bœuf bien ficelée.
Chaque soir aux Vins du matin, derrière le comptoir, telle une barmaid qui prépare ses cocktails à la demande, elle dresse en toute transparence ses assiettes léchées devant les clients accoudés. Sa rigueur porte un nom en cuisine : l’art de la mise en place. Il faut la voir arriver, dans l’après-midi, les bras chargés de victuailles, déjà cuites ou presque, car le bistrot ne possède pas d’extraction : « Ça va ? Ça ne sent pas trop le graillon ?, s’assure-t-elle, c’est ma hantise, je déteste ça au restaurant. »
Non, la douce odeur du jus de viande n’offense aucun convive sur place, au contraire, elle ajoute de la chaleur au lieu, à l’instar des chandelles allumées sur les tables hautes. Julien Mercier, à la tête de ce bar à vins aux recettes généreuses, ne s’en lasse pas. Depuis qu’il a engagé la cheffe à plein temps, en septembre, il accorde les verres à ses mets de haute volée avec, au service, Clément Liéby, qui connaît lui aussi les particularités de chaque bouteille.
Aux débuts des Vins du matin, ouverts en 2023, Julien était grossiste et vendait ses quilles nature dénichées partout en France. L’adresse est une ancienne boucherie, les quelques pans de carrelage en témoignent et servent aujourd’hui à inscrire au marqueur le menu de la cheffe attitrée. « J’ai d’abord servi des assiettes de fromages et de charcuterie, puis convié des chefs le temps d’une soirée, ou plusieurs semaines pour des pop-up, récapitule le jeune quarantenaire. A présent, j’ai quelqu’un de fixe dont c’est le métier. »
Marie a dit oui cet automne, sortie du restaurant Caché, à Paris (20e), et auparavant à bonne école bistrotière, sous la houlette de Léa Fleuriot, au Cadoret (19e). Elle y a appris le b.a.-ba des abats et reprend ici même la recette du boudin noir en y glissant de la semoule fine pour une meilleure saisie à la poêle.
A ce tropisme tripier (museau de porc confit à sa carte d’hiver) s’ajoutent les saveurs grecques qu’elle a racontées à travers sa propre saga familiale Tiens, mange ! Tu aimes ?, aux Editions de l’Epure (2022). Jamais loin non plus, son porte-vue d’écolière qui répertorie ses recettes à succès, où le cheesecake côtoie les règles pour apprêter une cervelle, ordre alphabétique oblige.
A la page suivante, ses dolmas, deux feuilles de vigne garnies de riz légèrement croquant sous la dent, sont surmontés de tranches de maquereaux lustrées par une marinade au vinaigre selon une technique nippone. La sauce aux agrumes associée à l’huile d’aneth électrise chaque bouchée.
La carte, remplaçant un ou deux plats par semaine, affiche toujours des goûts francs tels ses sheftalia, boulettes chypriotes de porc et d’agneau hachés et enroulés de crépine, ce qui permet aux viandes de garder toute leur jutosité. On y retourne à deux voire en solitaire, haut perché sur le tabouret du bar et entouré des habitués du quartier qui se passent le mot, car Les Vins du matin possèdent l’âme d’un bistrot de poche.
La meilleure place
Quand on est seul, la table haute face à la vitre, d’où regarder bien au chaud la vie nocturne défiler. Accompagné, la table du fond qui se devine à la lumière tamisée.
Le sens du détail
Une sélection musicale aux petits oignons concoctée par un ancien musicien. Les week-ends, l’ambiance devient plus électrique.
L’adresse
Les Vins du matin, 73, rue Riquet, Paris 18e. Du mardi au samedi : de 17 heures à minuit. @lesvinsdumatin
L’addition
Uniquement à la carte, de 5 € l’œuf mayo aux plats plus consistants, qui dépassent rarement les 16 €. La douceur est à 8 € et se partage bien.