La première fois qu’on m’a annoncé que je participerais aux Jeux para-olympiques, c’était le 21 mai, à Lucerne, en Suisse. Là se tenait la dernière épreuve de qualification pour les Jeux de Paris. C’était l’ultime ticket de la course en skiff (bateau individuel) des épreuves d’aviron. L’enjeu était énorme.
Ce matin-là, je me sentais bien. J’étais préparé mentalement. Cela faisait cinq années que je travaillais pour qu’on m’ouvre cette porte. J’étais transporté, investi d’une mission. Le chemin qui m’avait amené là était tracé. J’étais certain de gagner.
Le parcours qui m’a conduit jusqu’aux Jeux, jalonné d’étapes, a commencé le 24 août 2019. J’étais alors étudiant au Cesi, une école d’ingénieurs à Nice. J’avais toujours été un élève correct, toujours fait le minimum. Le choix d’une école d’ingénieurs était rationnel : c’était l’assurance de trouver un emploi bien rémunéré sur un marché du travail ouvert.
La veille, j’avais fait une fête avec quelques amis. A l’époque, je fumais un peu de tout. Mon hygiène de vie n’était pas formidable, je me laissais porter. Ce 24 août, je me réveille pas brillant, j’ai promis à ma grand-mère de déjeuner avec elle. Mais bon, ma voiture est en panne. Je pourrais prendre ma moto sauf que j’ai oublié de charger la batterie. J’emprunte le scooter de mon père. Je sais que les pneus sont mal gonflés… qu’importe !
Je prends la voie rapide, direction Marignane (Bouches-du-Rhône). Pour toute protection, je porte un short et un tee-shirt, mais je connais la route par cœur. Dans un virage un peu cabossé, le scooter guidonne et je perds le contrôle. Je suis éjecté de l’engin. Jambes les premières, mon corps s’incruste dans les barrières de sécurité. L’irréparable s’est produit.
Je suis encastré. L’artère fémorale est sectionnée. Mon corps se vide de son sang. Les pompiers mettront dix minutes à intervenir. C’est rapide, mais pas assez. Je n’ai pas 20 ans et j’ai devant moi deux ou trois minutes avant de mourir.
Un homme est arrivé. Il sortait de la maternité avec son nouveau-né, sa femme et deux autres de ses enfants. J’ai soufflé deux mots : « Sauve-moi… » Il a mis les mains dans ce chaos de chair, d’os et de métal. Avec une ceinture, il m’a fait un garrot et m’a sauvé la vie. Il s’appelle Loïc.
Cet épisode a eu son rôle dans l’acceptation de mon état. Cela m’a aidé à prendre conscience de la chance que j’avais de ne pas être mort, même avec un handicap. Les pompiers arrivent, ils me sédatent. Un hélicoptère me transporte à l’hôpital de la Timone, à Marseille. Une équipe médicale décide de m’amputer les deux jambes au-dessus du genou.