« Sur une base d’aéroport, un dimanche de septembre, la France catholique s’était fixé un rendez-vous somptueux. Le cadre était sinistre, l’entourage militaire, la plaine grise et froide. Pas un clocher à l’horizon, pas un arbre, pas une maison. Rien d’humain pour identifier le lieu. Rien de beau pour accrocher le regard. Des pistes infinies ne menaient nulle part. Le ciel était trop bas pour permettre de rêver ou de songer au voyage. Drôle d’endroit pour une rencontre ! Pourtant, ils étaient là. » C’est par ces mots que s’ouvre l’article du Monde dans lequel les journalistes Annick Cojean et Eric Fottorino racontent la grande messe publique célébrée par le pape Jean Paul II (1920-2005), le 22 septembre 1996, sur la base aérienne de Reims (Marne), devant plus de 200 000 fidèles.
La célébration venait clore un voyage de quatre jours dont la perspective, depuis des mois, déchaînait les passions, tant chez les politiques et les historiens que chez les spécialistes du fait religieux. Preuve de l’embarras des autorités : le gouvernement n’était représenté à la messe que par le secrétaire d’Etat chargé de la santé et de la Sécurité sociale, Hervé Gaymard. On conviendra, sans faire injure à l’intéressé, qu’un tel rang protocolaire est plutôt inhabituel pour accompagner le chef temporel et spirituel de l’Eglise catholique.
Certes, le souverain pontife avait vu le chef de l’Etat, Jacques Chirac (1932-2019), lors de son arrivée à Paris, trois jours plus tôt, et il allait s’entretenir avec le premier ministre, Alain Juppé, au sortir de la célébration. Mais, jusqu’à la fin, cette visite pastorale aura été considérée comme extrêmement périlleuse. Pourquoi ? A cause d’un événement historique mal connu, impossible à dater et difficile à situer, dont il s’agissait pourtant de célébrer, à Reims, le 1 500e anniversaire : le baptême de Clovis (466-511), roi des Francs, qui scella l’alliance entre l’Eglise et les Mérovingiens, ouvrant la voie à ce qui, un jour lointain, deviendrait la France.