Stade de France, Bataclan, Carillon, Petit Cambodge… Le sinistre vendredi 13 novembre 2015 a transformé ces lieux de réjouissance collective en théâtres de l’une des grandes tragédies de l’histoire nationale. Chacun se souvient de l’endroit où il se trouvait lorsque a commencé cette nuit d’horreur qui, avec les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher commis dix mois plus tôt, a achevé d’inscrire le terrorisme islamiste dans le paysage français.
Dix ans plus tard, l’heure est à l’hommage aux victimes de cette série de tueries aveugles revendiquées par Al-Qaida et par l’organisation Etat islamique. Le 13-Novembre a provoqué la mort de 132 personnes et a fait plus de 400 blessés physiques et des milliers de blessés psychiques.
Mais l’importance de cet anniversaire dépasse largement les aspects commémoratifs formels. Après le temps de la sidération et des réactions, après celui de la justice, marqué par un procès historique de plus de dix mois en 2021-2022, est venu celui de la mémoire, non pour mettre à distance des drames qui ont d’ailleurs connu de multiples répliques depuis lors, mais pour en tisser un récit le plus complet possible et en tirer les leçons.
L’une d’entre elles tient à l’articulation entre la mémoire traumatique individuelle des victimes et des témoins, et la mémoire nationale. A la somme de témoignages journalistiques recueillie après les attaques et au moment du procès, aux nombreuses créations littéraires et télévisuelles s’ajoutent les milliers de témoignages audiovisuels et les dizaines de thèses de doctorat issus d’un programme de recherche spécifique porté par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ainsi que par les enquêtes d’opinion qui établissent le 13-Novembre, en particulier le carnage du Bataclan, comme « matrice mémorielle française ».
Désireux de répondre à la barbarie par la science, les travaux du CNRS ont aussi permis d’établir que la plasticité cérébrale agissant sur les mécanismes de contrôle de la mémoire peut atténuer, voire guérir les troubles de stress post-traumatique. Prouvée également, l’importance du soutien des proches dans ce processus de résilience fait présumer du rôle de l’empathie sociale dans l’évolution de la collectivité après de pareils chocs.
De ce point de vue, bien des questions demeurent pendantes, car la France, de Nice à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) et de la décapitation de Samuel Paty à l’assassinat de Dominique Bernard, n’a cessé, durant ces dix années, de subir le traumatisme répété d’attentats islamistes. Si le dessein des terroristes consistant à provoquer la peur, des représailles contre les musulmans de France et la radicalisation de ces derniers a globalement échoué, si Paris, meurtrie voilà dix ans, brille à nouveau dans le monde, les attentats de 2015 ont servi de prétexte à la montée d’une violence d’ultradroite antimusulmane. Ils ont aussi suscité une série de reculs des libertés publiques et accentué une focalisation des discours de la droite et de l’extrême droite sur l’islam, dont les conséquences politiques ne finissent pas d’être mesurées.
La mémoire commune qu’invite à consolider ce triste anniversaire peut s’appuyer sur la résilience somme toute remarquable du pays. Mais elle porte aussi en elle des avertissements : celui de la vigilance à l’égard de toutes les formes d’attaque contre le vivre-ensemble, celui aussi de ne tomber dans aucun des pièges tendus par les terroristes.