« La Croix de la rédemption » : James Baldwin aux tréfonds du rêve américain

« La Croix de la rédemption » : James Baldwin aux tréfonds du rêve américain

James Baldwin (1924-1987) n’a pas pris une ride. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, se dit-on en abordant La Croix de la ­rédemption, traduction inédite d’un recueil de textes variés – critiques littéraires, discours, nouvelle – paru en 2010 aux Etats-Unis. Rédigés entre 1947 et 1985, ces écrits parlent d’un monde qui est encore, par bien des aspects, le nôtre, sans jamais verser dans le prophétisme. Ils donnent surtout à voir la cohérence et la force d’une pensée qui n’a cessé de décortiquer les mythes de l’Amérique. Avec lucidité, « brutalité », amour, et une exigence que Baldwin appliquait autant à ses lecteurs qu’à lui-même.

L’auteur de La Chambre de ­Giovanni (1956 ; La Table Ronde, 1958 ; rééd. Rivages, 1997) est né il y a cent ans. Mais ce qu’il nous donne est si profond – c’est-à-dire si simple à comprendre et si ­compliqué à accepter – que nous pourrons y puiser pendant des décennies encore. Sur l’appartenance, d’abord. « Cette nation [les Etats-Unis] n’est pas et n’a jamais été une nation blanche (…), écrit-il. Je suis un Américain. Mes ancêtres ont saigné, souffert et sont morts pour créer cette nation, et si mes ancêtres n’avaient pas (…) cueilli tout ce coton, et posé toutes ces voies ferrées, l’économie américaine n’existerait pas aujourd’hui. »

Au fil de la quarantaine de textes du recueil, nous le voyons se déplacer du nord au sud des Etats-Unis, et jusqu’en Grande-Bretagne, pour livrer discours et conférences. La retranscription ­linéaire des enregistrements ­contribue à le rendre présent. Il s’exprime, en 1963, après l’assassinat du président Kennedy et l’attentat à la bombe dans l’église noire de Birmingham (Alabama). En 1961, il prononce un discours sur le nationalisme et le colonialisme : « Les Noirs et les Blancs vivent ici ensemble depuis des ­générations, depuis des siècles. Aujourd’hui, reste à savoir si nous sommes prêts ou non à affronter ce fait. »

Le courage et la lucidité sont, ­selon lui, ce qui permettra à l’Amérique de cesser d’être ce pays « décrépit » car violent envers les Noirs, « horrible » car façonné par des mensonges, dont celui qui recouvre le génocide amérindien (« Nous avons fait d’un massacre une légende », affirme-t-il). L’écrivain explique comment l’Amérique a inventé le « problème noir » – qui n’est pas le problème des Noirs – pour ne pas avoir à réfléchir à l’esclavage qui est aux origines du pays. Aujourd’hui, ses compatriotes blancs doivent accepter de « payer le prix » pour établir une véritable « démocratie ». Malgré tout, James Baldwin y croit : « Nous pouvons changer le pays. »

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