« Métaphysique de l’anthropocène II », de Jean Vioulac : penser la puissance d’annihilation de l’humain

« Métaphysique de l’anthropocène II », de Jean Vioulac : penser la puissance d’annihilation de l’humain

Deuxième volume de Métaphysique de l’anthropocène, fresque philosophique peinte dans la nuit d’un temps apocalyptique, Raison et destruction nous pousse à un nouvel exercice de lucidité. Le philosophe Jean Vioulac considère que l’anthropocène renvoie à une vérité essentielle : la puissance d’annihilation de l’humain, capable d’agir à l’échelle géologique et de provoquer une extinction de la vie terrestre, en train de s’accomplir en acte. Son diagnostic ne provient d’aucune prophétie eschatologique : il est d’abord déduit de faits scientifiques et de rapports techniques, comme le « Global Assessment Report » publié par les Nations unies en avril 2022, dans lequel on peut lire : « L’humanité est entrée dans une spirale d’autodestruction. »

La tâche de la philosophie est dès lors de penser « la situation critique en laquelle se trouve aujourd’hui l’humanité », écrit Jean Vioulac, jugeant, dans un article de 2023 à la revue Le Grand Continent, qu’il s’agit là du « plus grand défi qu’elle ait jamais eu à affronter ». D’autant plus que ce défi est double, car à la crise écologique s’ajoute l’avènement de l’intelligence artificielle. Nous faisons face, autrement dit, à la crise des conditions de la vie et à celle des conditions de l’esprit. C’est précisément par l’explicitation du lien entre ces deux dimensions que ce livre est frappant.

L’humain n’est pas seulement cet « animal désanimalisé », disait Nietzsche, niant sa nature et la vie dans son ensemble, il est aussi désormais déshumanisé. Si, en effet, comme le pensait Aristote, l’humain est, contrairement aux autres vivants, un animal doué du logos, c’est-à-dire de la pensée rationnelle structurée dans un langage, alors, en déléguant le logos à des machines, en confiant à des ordinateurs sa culture, sa mémoire, son langage, jusqu’à réduire le logos au logiciel, l’humain, de fait, s’éteint quand l’écran des objets intelligents s’allume.

Vioulac insiste sur l’incarnation fondamentale du lien entre crise écologique et crise de la raison dans son approche du système qui a rationalisé notre rapport aux ressources naturelles tout en aliénant le travail vivant : le capitalisme. Ce que Karl Marx appelait une « Machinerie » n’est donc pas d’abord, pour Vioulac, un rapport social inégalitaire, c’est une forme de logos automatisé, producteur d’une valeur spectrale détachée de la vie, dans lequel les sujets humains sont mécanisés.

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