En Toscane, la bulle secrète des écrivains

Cet été 2012, alors qu’il attrape un taxi à l’aéroport de Florence, Emmanuel Carrère est anxieux. Il pense au livre qu’il doit terminer, à cette enquête intime sur les débuts de la chrétienté sur laquelle il travaille depuis des années. Et plus particulièrement à cette entrée en matière autobiographique qui lui donne tant de fil à retordre. Parler de soi quand on fait le portrait de son grand-père ou de son ancien ami l’écrivain russe Edouard Limonov, d’accord. Mais le faire en écho avec l’histoire des premiers apôtres de Jésus-Christ, nés il y a plus de vingt siècles, le défi s’annonce autrement plus ardu.

Le taxi entre dans le village de Donnini, ses façades ocre et son café solitaire. A travers la fenêtre, Emmanuel Carrère observe les lacets accidentés qui doivent le conduire à la Fondation Santa Maddalena (« Sainte-Madeleine »). C’est la première fois que l’auteur d’Un roman russe (P.O.L, 2007) part s’isoler dans une résidence d’écriture, et cette perspective est une autre source d’inquiétude. Son ami l’écrivain américain Edmund White lui a glissé le nom du lieu, comme on confie un secret : « Emmanuel, tu devrais y aller. »

Avant lui, Michael Cunningham, l’auteur des Heures (Belfond, 2003), prix Pulitzer, la romancière star Zadie Smith, et tant d’autres, sont revenus enchantés par leur retraite toscane. Sur la propriétaire, Beatrice Monti della Corte von Rezzori, lui sont parvenus des échos plus contrastés. La baronne aurait vécu mille vies trépidantes, mais posséderait un fichu caractère. Il en a entendu des histoires d’écrivains prenant leurs cliques et leurs claques au bout de quelques jours, désarçonnés par ses froideurs soudaines et ses reparties cinglantes.

Ça y est, le taxi est arrivé à destination. Emmanuel Carrère tire sa valise vers cette maison à la façade recouverte de lierre. On le conduit sans façons vers sa chambre, au bout du jardin. C’est là qu’est assise la baronne avec son chien Giulietta, un griffon italien, qui l’adoube en lui léchant la main. Les jours suivant, Emmanuel Carrère se sent rapidement chez lui.

La compagnie de Beatrice Monti le ravit. Il adore l’écouter raconter ses voyages en Ethiopie avec l’écrivain italien Curzio Malaparte quand elle n’avait que 10 ans, ou comment le poète Henri Michaux lui faisait la cour alors qu’elle était une jeune galeriste, à Milan. Et puis le travail avance plus qu’il ne l’espérait. « A la fin du séjour, la première partie du Royaume était écrite », raconte aujourd’hui Emmanuel Carrère.

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