Que des hommes, les philosophes ? Au premier regard, oui. De la Grèce antique aux Temps modernes, à Rome, en Inde ou en Chine, les penseurs sont des mâles. En tout cas, on l’a longtemps cru et répété. Les femmes paraissaient absentes et silencieuses – supposées incapables, ou réduites à se taire. On sait aujourd’hui combien cette représentation est fausse. Nombreuses et importantes, les femmes philosophes du passé sont redécouvertes et mises en lumière, et les contemporaines célébrées.
Cette réhabilitation n’est pas récente. En 1690 déjà, l’écrivain Gilles Ménage (1613-1692) publiait une Histoire des femmes philosophes, et les Lumières, comme le XIXe siècle, n’ont cessé de retravailler le paysage. Plus encore, ces dernières décennies, quantité de travaux universitaires, majoritairement anglo-saxons, ont contribué à faire bouger les lignes, notamment les quatre volumes publiés à partir de 1987 par Mary Ellen Waithe, A History of Women Philosophers (« une histoire des femmes philosophes », non traduit).
Mais les pesanteurs sont grandes, les préjugés tenaces, les institutions pusillanimes. En France, ce n’est qu’en 2003 que Hannah Arendt devint la première femme figurant parmi les auteurs au programme de philosophie du baccalauréat, rejointe par cinq autres seulement en 2019… C’est pourquoi on ne pouvait que se réjouir de voir paraître, à l’usage d’un vaste public, un livre destiné à donner une vue d’ensemble de « ce que la philosophie doit aux femmes ». Tout semblait réuni pour un panorama marquant : compétences d’une douzaine d’autrices universitaires, complémentarité de leurs expertises, volonté d’éclairage global. Le résultat, malheureusement, n’est pas au rendez-vous.
Certes, les lecteurs apprendront beaucoup, rencontreront quantité de références utiles et des données intéressantes sur les femmes philosophes à des époques et dans des cultures diverses. Malgré tout, plus la lecture avance, plus les réserves surgissent. Il est plutôt gênant que les autrices se consacrent les unes aux autres des analyses de leurs œuvres. Et il est curieux que tant de militantes contemporaines soient répertoriées par le menu, de l’écoféminisme au care en passant par #metoo, sans que des grands noms de femmes, à qui la philosophie doit beaucoup, soient seulement mentionnés.