En visite à Rio de Janeiro, au Brésil, mardi 19 novembre, en marge du G20, le président français, Emmanuel Macron, a été entendu en train de traiter les responsables haïtiens de « complètement cons ». Point n’est besoin de souligner que cela ne fait pas honneur à sa fonction et ternit, au passage, l’image du pays qu’il est censé représenter. La France mérite mieux que ces déclarations à l’emporte-pièce auxquelles M. Macron, sans doute ennuyé, nous a habitués ces derniers temps. En quête de polémique stérile, on pourrait rétorquer que le peuple haïtien n’a pas de leçon à recevoir de celui qui a failli, du fait de sa décision inconsidérée de dissoudre l’Assemblée nationale, porter l’extrême droite au pouvoir en France.
Voyons plutôt au-delà de ces propos à la limite du vulgaire dans la bouche d’un président de la République. Dans sa réponse à son interlocuteur, il dit : « Je l’ai défendu, ils l’ont viré », en parlant du premier ministre haïtien, Garry Conille, limogé récemment. Il ne s’agit pas, entendons-nous, de défendre ici le panier de crabes qu’est le conseil présidentiel de transition haïtien (CPT).
Les mots de M. Macron frisent l’arrogance et le mépris de classe qu’on ne cesse de lui reprocher en France même, surtout quand il s’adresse à des personnes mal loties socialement. On se rappelle, à ce sujet, sa fameuse phrase à un demandeur d’emploi : « Je traverse la rue, je vous en trouve [du travail]. » On a l’impression que ce qui irrite le plus M. Macron, c’est que le CPT ait osé virer quelqu’un qu’il a défendu.
Il dit aussi : « Ce sont les Haïtiens qui ont tué Haïti. » Et là, il faut lire entre les lignes. Quand on sait que le président, pour utiliser son langage fleuri, n’est pas « complètement con », on se dit qu’il n’a pas lancé ces mots par hasard. L’erreur de son interlocuteur a été de l’interpeller à propos de la part de responsabilité de la France dans la situation désastreuse de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue. Le sang présidentiel n’a fait qu’un tour.
M. Macron n’est pas sans savoir que le 17 avril sera le bicentenaire de la « double dette d’Haïti ». De quoi s’agit-il ? Les esclaves de Saint-Domingue se sont libérés les armes à la main et ont proclamé leur indépendance à la face du monde le 1er janvier 1804. Après vingt et un ans de tractations pour tenter de récupérer l’ex-colonie, Paris accepte d’y renoncer, mais à ses conditions : la reconnaissance de l’indépendance du jeune Etat contre des garanties d’échanges commerciaux favorables au royaume et, surtout, 150 millions de francs or destinés à indemniser les colons esclavagistes. Cela prend la forme d’une ordonnance signée le 17 avril 1825 par Charles X.