La Justice est souvent représentée sous les traits de la déesse Thémis aux yeux bandés, symbole d’impartialité. Devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, depuis près de trois mois, c’est une tout autre femme, au regard droit, à la détermination farouche et à la parole dosée, qui domine le procès de la cinquantaine d’hommes, son ex-mari au premier rang, l’ayant traitée comme un objet sexuel. « La honte doit changer de camp », dit un slogan des luttes féministes contre le viol. C’est peu dire que, le temps du procès des viols de Mazan dont le réquisitoire s’est achevé, mercredi 27 novembre, il est devenu réalité grâce au courage de Gisèle Pelicot.
En 1978, lors du procès des auteurs du viol de deux campeuses attaquées en pleine nuit dans une calanque près de Marseille, c’étaient elles, les victimes, qui avaient été traitées comme des accusées et, avec leur avocate, Gisèle Halimi, conspuées par des hommes à la sortie des audiences. Quarante-six ans plus tard, Gisèle Pelicot est entrée chaque jour au palais de justice d’Avignon sous les applaudissements et en est ressortie avec une haie d’honneur.
Ce contraste, s’il reflète un changement de regard de la société, ne doit pas faire illusion : presque aucun des accusés du procès d’Avignon n’a reconnu la réalité des viols, pourtant attestée par des vidéos, se réfugiant derrière une prétendue « absence d’intention » ou une « erreur ».
Mais, alors que 94 % des affaires de viol sont classées sans suite et qu’affronter une procédure judiciaire reste une épreuve terrible pour les plaignantes, souvent amenées à demeurer dans l’ombre, la façon dont Gisèle Pelicot s’est placée, de son propre chef, au centre de ce procès et a affronté ses agresseurs, ne peut que marquer l’histoire.
Certes, le scénario hors normes des viols filmés par le mari de la victime endormie a fait échapper les débats au terrible « parole contre parole ». Mais la décision de la victime d’affronter la diffusion publique de ces images en refusant le huis clos a tout changé en exposant jusqu’à la nausée à la société entière, le défilé de ces hommes d’apparence ordinaire, de tous âges et de toutes origines, leur comportement devant une femme sédatée, leur irresponsabilité, parfois leur bestialité et leur lâcheté.
Davantage que l’institution judiciaire elle-même, c’est Mme Pelicot qui, en maintenant son refus du huis clos – que le président du tribunal avait prononcé dans un premier temps –, en s’abstenant de s’exprimer en dehors de la cour, et en assistant avec dignité aux audiences, y compris aux plaidoiries de la défense, a, en quelque sorte, imposé ses règles tant aux magistrats qu’aux accusés et à leurs avocats. Une prise de pouvoir reconnue à sa façon par le représentant du ministère public, à l’origine favorable au huis clos, qui a salué le « sursaut de résilience admirable » de Gisèle Pelicot.
Exemplaire, ce spectaculaire retournement qui a vu une victime de viols se placer au centre du procès de ses agresseurs au cours d’audiences suivies par les médias du monde entier a déjà suscité de vastes et utiles débats sur la « culture du viol » et la question du consentement. « Par votre verdict, vous signifierez (…) qu’il n’y a pas de fatalité à subir pour les femmes et pas de fatalité à agir pour les hommes. Et vous nous guiderez dans l’éducation de nos fils », a conclu, mercredi, l’un des avocats généraux à l’adresse de la cour.
Si ces indispensables messages finissent par imprégner les rapports entre les hommes et les femmes et à inspirer les politiques publiques, Gisèle Pelicot y aura pris sa part.