Les 10 ans du massacre à Charlie Hebdo sont commémorés par un concert de bonne conscience, un bal des faux culs et des larmes de crocodile. La vérité est que ce journal satirique est seul. L’équipe dessine et écrit dans un bunker, entourée de policiers armés, dans une solitude indifférente. A l’extérieur, ce n’est que « silence de cimetière », dénonce Fabrice Nicolino dans le numéro du 7 janvier.
Faut-il être aveugle ou naïf pour ne pas voir le décalage entre l’affichage et la réalité ? Un sondage de la Fondation Jean Jaurès, avec l’IFOP, publié dans Charlie Hebdo du 7 janvier, nous apprend que les Français seraient plus ouverts à la caricature, à la liberté d’expression et même à la représentation du blasphème. Affinons. Si la caricature concerne la religion, les réponses se crispent. Et si elle touche à l’islam et à son Prophète, les ennuis commencent.
Le journaliste Philippe Lançon, rescapé de « Charlie », auteur du Lambeau (Gallimard, 2018), résume le sujet d’une formule, dans le même numéro de l’hebdomadaire : les assassinats, « c’était finalement une censure radicale ». Tuer au Bataclan, à l’Hyper Cacher, sur la promenade des Anglais à Nice, tuer ailleurs, tuer les enseignants Samuel Paty et Dominique Bernard, frapper Salman Rushdie de quinze coups de couteau, blesser deux personnes, en 2020, devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, c’était une censure radicale.
De tels signaux envoyés créent un climat, qui a pour nom la peur, avec deux cibles complémentaires, l’éducation et la culture. Les conséquences sont lourdes. Pour ne prendre qu’un exemple, le dernier baromètre « Les Français et le théâtre », réalisé par Médiamétrie et publié en juin par l’Association pour le soutien du théâtre privé, montre qu’une personne sur deux refuse qu’on lui parle de?religion sur scène.
Courage donc aux artistes auxquels il viendrait l’idée de critiquer l’islam ou l’islamisme, de dire que le voile est une aliénation, que ce soit dans un tableau, un dessin de presse, un film, un spectacle. Il n’est pas sûr que la formidable série espagnole La Mesias (la messie), à voir sur Arte, qui aborde – entre autres – la question de l’emprise dans une secte familiale proche du catholicisme, aurait pu voir le jour avec une famille musulmane.