« Indispensables et indésirables », de Laurent Dornel : un moment métropolitain de l’oppression coloniale

Durant la Grande Guerre, la France a recruté plus de 220 000 hommes dans ses colonies pour travailler en métropole. Un afflux d’hommes à la fois indispensables pour leur labeur, et indésirables en raison de leur origine. Indispensables et indésirables : le titre du remarquable livre de Laurent Dornel décrit parfaitement l’inconfortable tension générée par ces recrutements massifs.

D’un côté, des besoins d’ouvriers sans précédent dans les usines d’armement et l’arrière-front, justifiant de recourir au réservoir apparemment inépuisable des colonies. De l’autre, l’inquiétude générée par la présence en France de travailleurs asiatiques et africains, dont les autorités redoutent les débordements, la promiscuité sexuelle ou, pire encore, des formes d’émancipation risquant de lézarder l’édifice colonial.

L’historien montre bien l’ampleur des efforts fournis pour encadrer et surveiller cette main-d’œuvre à la fois vitale et suspecte. Toute une bureaucratie s’improvise au cours des années 1915 et 1916 pour canaliser, contrôler, enregistrer les migrants que l’on fait venir de l’empire français (Afrique du Nord, Madagascar, Indochine) et même de Chine – un Etat souverain, mais qui fournit des travailleurs dépendants, surnommés « coolies », aux Occidentaux et à leurs empires depuis des décennies, ce qui explique que les 37 000 Chinois alors recrutés par la France se retrouvent eux aussi sous une tutelle coloniale.

Tous ces hommes sont en effet assignés aux tâches les plus rudes de l’effort de guerre, et surtout dans des conditions de subordination telles que Laurent Dornel peut à travers elles « saisir le colonialisme en métropole ». De fait, c’est une transposition massive, et sans doute sous-estimée jusqu’ici, de dispositifs de contrôle inégalitaires et impériaux sur le sol français qui s’opère alors.

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