Houari Boumediene a les apprêts des grands jours. Moustache bien lisse, cravate nouée au col d’une chemise blanche qu’assagit un costume sombre, le chef de l’Etat algérien est bien cambré derrière un bouquet de micros. En ce 24 février 1971, les 3 000 cadres de l’Union générale des travailleurs algériens, rassemblés dans une salle du Champ-de-Manœuvre, quartier de l’ouest d’Alger sur la route de Tipaza, ne se doutent guère que le destin de leur pays va basculer. Le secret avait été bien gardé, même si un signe – M. Boumediene venait de se saisir d’une feuille à lire – avait alerté certains sur l’imminence d’une forte annonce.
« Nous avons décidé de porter la révolution dans le secteur des hydrocarbures, lâche le dirigeant suprême, rythmant chaque mot d’un mouvement du poignet. Nous avons décidé à partir d’aujourd’hui de prendre 51 % des parts des sociétés françaises [de pétrole]. » Et lorsqu’il ajoute « Nous avons décidé de nationaliser le gaz », un tonnerre d’applaudissements éclate de l’assemblée incrédule.
Ce qararna (« Nous avons décidé ») trois fois martelé est entré dans la légende, inscrit en lettres d’or dans l’épopée nationale algérienne. Neuf ans après son accession à l’indépendance, arrachée au prix d’une sanglante guerre contre la France, l’Algérie parachevait sa souveraineté politique par sa souveraineté économique. Avec son défi du 24 février 1971, M. Boumediene accomplissait un « 1er-Novembre économique », selon sa propre formule renvoyant au 1er novembre 1954, date du déclenchement de l’insurrection du Front de libération nationale (FLN). Il signifiait par là même que la décolonisation n’était pas encore soldée et qu’elle devait se poursuivre sur le terrain des ressources en hydrocarbures – fût-ce en s’attaquant à certaines des dispositions des accords d’Evian conclus en mars 1962 avec Paris.