« Il suffit qu’une femme entre dans son champ de vision et que, par malheur, elle pose son attention sur lui, pour que ses mâchoires se serrent »

Enfin du temps de loisir dans un lieu consacré au loisir. Lui avec tous les autres. Enfin, lui aussi va pouvoir en profiter. Pour une fois, ne pas travailler et tout oublier sur les planches de Coney Island, laisser ses petites souffrances se dissoudre dans le souffle tiède de l’océan qui se retire et revient, les soulageant ainsi un instant de la chaleur étouffante de juillet, payer quelques dollars pour s’amuser, manger un hot dog, peut-être. Lui aussi aujourd’hui, en ce jour de fête nationale, il va avoir le droit à tout ça.

Depuis que sa famille possède l’exploitation de la Wonder Wheel, chose inespérée encore l’année dernière, réalité inenvisageable à leur arrivée à Brooklyn quelques années auparavant, il y travaille, avec ses frères et ses sœurs, jour et nuit, sept jours sur sept, American way, baby. Un peu plus que ses frères et sœurs, d’ailleurs, car il est le seul à ne pas être marié, ce qui dans sa famille équivaut à souffrir d’une maladie vénérienne et mérite damnation, à ton âge, ce n’est pas sérieux, c’est quoi ton problème ?

Le matin, sa mère, la dragonne, la Médée de l’Astroland, s’est réveillée fiévreuse et terrassée, une bronchite carabinée la tenant au lit. C’est une première pour lui. Quelle étrangeté de voir cette femme centaure qui lui sert de mère, soudain, en une nuit, affaiblie et blessée ; loin de le rassurer sur son caractère humain et vulnérable, la voir ainsi l’a tout bonnement terrifié. En son absence, le père a décrété que c’était vacances pour tout le monde. Même lui, le petit frère, a eu le droit de s’éclipser et d’arrêter de faire tourner la roue pour profiter du feu d’artifice.

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