« A l’adolescence, quand je me suis sentie fragile mentalement, j’ai refusé d’avoir affaire à un psychologue, par peur que la folie familiale se transmette », confie Géraldine Trippitelli, 54 ans, responsable marketing à l’Ecole nationale des ponts et chaussées. Cette crainte de la « folie » ne lui vient pas de nulle part. Elle est la petite-fille d’Ilse Kratzsch, internée à l’asile d’aliénés Saint-Pierre (aujourd’hui devenu la Timone), à Marseille, de 1952 jusqu’à sa mort, en 1983. De sa grand-mère, elle ne sait qu’une chose, tout le reste étant entouré d’un lourd silence : elle est allemande. Enfant, elle lui rend visite deux fois à l’hôpital psychiatrique, mais Ilse Kratzsch reste une figure fantomatique – « Une histoire triste que ma mère veut enterrer. »
Une omerta brisée par sa cousine, Marie Ilse Bourlanges, artiste multidisciplinaire de 42 ans, qui porte le prénom de son aïeule. Lorsqu’elle devient mère, le besoin d’éclaircir ce trou noir familial se fait insistant. « On nous a dit qu’elle était schizophrène, puis on nous a parlé d’état maniaque et de psychose… Jamais rien de précis, pour un internement qui a duré près de trente ans », déplore l’artiste. Elle plonge alors dans les méandres des archives départementales des Bouches-du-Rhône, et interroge les membres de sa famille, à commencer par ses tantes, « soulagées d’avoir enfin une occasion d’en parler ».