« Appartements témoins », d’Isabelle Backouche, Sarah Gensburger et Eric Le Bourhis : spoliation des juifs de France, le dossier s’alourdit

Objet de nombreuses recherches historiques et de plusieurs décrets et lois depuis la Libération, la spoliation des juifs de France sous l’Occupation est aujourd’hui bien connue. De même, depuis les années 1990, ont été déployées des politiques de plus en plus amples de restitution des biens volés par le régime de Vichy – propriétés immobilières, entreprises, œuvres d’art…

Une dimension pourtant massive du phénomène a jusque-là échappé à l’attention des historiens comme des politiques : la spoliation de locataires juifs déportés, en fuite ou cachés, dont les appartements ont été attribués à de nouveaux occupants – à la hauteur de quelque 25 000 logements. Après une enquête de longue haleine, les historiens Isabelle Backouche, Sarah Gensburger et Eric Le Bourhis, dans Appartements témoins, la placent enfin en pleine lumière.

L’une des caractéristiques de cette politique est que, contrairement à celle qui visait les biens, elle n’a été accompagnée d’aucun texte officiel. Elle est entièrement passée par la voie administrative, en particulier, à partir de mai 1943, par le travail d’un service de la préfecture de la Seine, dont les archives montrent qu’il s’est entièrement consacré aux appartements loués par des juifs, alors même que beaucoup d’autres étaient vacants.

L’absence de ces locataires apparaissait aux fonctionnaires comme une occasion idéale de mettre en place une politique d’accueil de citoyens « aryens » expulsés, sinistrés ou eux-mêmes fonctionnaires. Une politique sociale, en somme, qui se voulait généreuse. Et dont la terreur et les assassinats de masse étaient la condition de possibilité.

En d’autres termes, la « nature bureaucratique » de l’opération normalisait l’implication non seulement de l’Etat français mais de la société dans Shoah. Elle « stimul[ait] » chez les bénéficiaires « l’ardeur (…) à participer activement à l’éviction des juifs ». En témoignent les lettres envoyées aux autorités pour signaler des logements « juifs » inoccupés ou non, ou encore pour demander qu’on en attribue à des « Français, des vrais ». Des demandes dont le nombre s’est spectaculairement accru après la rafle du Vél’d’Hiv en juillet 1942, ce qui, soulignent les auteurs, relativise la « croyance répandue » selon laquelle la rafle « aurait indigné la majorité des Parisiens ».

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